Dai Sijie descend dans les profondeurs du Tibet
Il dénonce la folie des gardes rouges de façon si éblouissante qu’on aurait aimé en lire plus.
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Publié le 28-09-2020 à 15h26 - Mis à jour le 28-09-2020 à 15h27
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Dai Sijie est l’auteur de livres déroutants, qu’il prend le temps de ciseler. Ce n’est ni un abonné aux rentrées littéraires, ni une machine à produire des manuscrits. C’est un écrivain inclassable dont chaque ouvrage est une surprise. Révélé en 2000 par Balzac et la petite tailleuse chinoise, que Bernard Pivot avait porté aux nues au bon vieux temps de Bouillon de culture, ce romancier (et cinéaste à ses heures) franco-chinois tisse tranquillement une œuvre dont le fil rouge est un amour passionné de la langue française. Il n’est que dans l’ordre des choses qu’il ait obtenu, l’an dernier, le Grand prix Hervé-Deluen de l’Académie française.
Avec Les Caves du Potala, son septième roman, on est une fois de plus décontenancé. Certes, on n’est pas étonné (mais toujours un peu déçu) de ne plus retrouver cette verve délirante et volontiers sarcastique qui faisait la saveur du Complexe de Di (prix Femina 2003) ou de L’Acrobatie aérienne de Confucius (2009). Avec son précédent roman, L’Évangile selon Yong Sheng (2019), Dai Sijie avait opté déjà pour un ton plus sombre.
On est, en revanche, déconcerté par la minceur, sinon du propos, du moins de son traitement. Dai poursuit son important travail de dénonciation des horreurs du maoïsme en s’attachant, cette fois, à exposer les atrocités commises au Tibet pendant la Révolution culturelle (nous sommes en 1968). Il le fait avec le recul voulu : il rappelle ainsi que ces fameuses caves du Potala servaient, sous le règne des dalaï-lamas, de salles de torture. Il le fait aussi avec son extraordinaire talent : la langue est de nouveau éblouissante et on ne peut qu’être impressionné par la maîtrise du sujet.
Le moine et le loup
Dai Sijie ne paraît rien ignorer, en effet, de la peinture des tankas et, plus généralement, de la religion et de l’histoire du Tibet. On se demande, toutefois, s’il est approprié d’adjoindre, à un roman de 172 pages, 112 notes explicatives en fin de volume, mais c’est un détail.
Ce qui déçoit, c’est le manque de souffle de l’histoire qui nous est racontée, alors que son héros, le moine Bstan Pa, lui, n’en manque pas. Pour avoir été le peintre officiel du treizième dalaï-lama, il est persécuté par un jeune garde rouge sadique, surnommé "le Loup". Le bras de fer entre le vieillard et son bourreau est magnifiquement rendu, Dai Sijie opposant à la cruauté du second la force tranquille du premier. La pratique de l’art est ainsi sublimée ; elle permet de triompher du mal.
L’allégorie est prétexte à de multiples échappées, tant dans les vastes étendues du Tibet que dans l’histoire tourmentée du pays des neiges. Pour beaucoup de lecteurs, ce sera à n’en pas douter une révélation et un enchantement. On regrettera malgré tout que Dai Sijie ait choisi d’écrire un conte là où il y avait matière à une épopée, mais peut-être ce regret est-il seulement causé par le contraste entre ce livre trop fin et le monumental Évangile selon Yong Sheng.
Les Caves du Potala Roman De Dai Sijie, Gallimard, 187 pp. Prix env. 18 €, version numérique 12,99 €
