New York et le sale goût du sang
Jerome Charyn et François Boucq nous offrent la suite de "Little Tulip" et c’est tout simplement brillant.
Publié le 02-10-2020 à 16h25 - Mis à jour le 14-10-2020 à 16h19
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C’était il y a déjà six ans. Le couple Jérôme Charyn - François Boucq se reformait enfin après de trop longues années sans collaboration. "On avait envie de retravailler ensemble mais le temps nous manquait, on avait chacun nos projets et puis, surtout, il fallait trouver le thème, la bonne histoire, qui nous oblige à mettre de côté tous ces autres projets pour reprendre notre collaboration", expliquait François Boucq en 2014 lors de la sortie de Little Tulip, premier tome d’une saga voyageant de la Sibérie à New York, avec des personnages bien typés comme les aime le dessinateur lillois, des scènes mémorables et quelques références historiques pour bien ancrer tout ce beau monde dans son époque.
Le dessin dans la peau
Avec ce récit passionnant, Jérôme Charyn, scénariste et romancier new-yorkais, nous offrait un regard sans complaisance sur sa ville et une plongée sans retenue dans les tréfonds du goulag sibérien. Un monde sans pitié, même pour les plus jeunes. Pavel, devenu Paul en posant ses bagages aux États-Unis, est un de ces enfants lancés trop tôt dans un monde d’adultes sans scrupules. Séparé de ses parents par la puissance d’un pouvoir inique qui écrase tout, les êtres comme les consciences, le gamin se retrouve dans un camp de détention encerclé par la lie de la société. Dans ce camp au bout du monde, où les normes ont cédé face à la barbarie, c’est une des pires créatures qui va prendre le jeune Pavel sous son aile et lui apprendre le métier de tatoueur. Un job essentiel dans cet enfer, un art qui va donner un statut au gamin et qui va lui permettre de rester vivant.
Le "nouveau" Paul a bien changé même s’il n’a rien oublié de ce passé inhumain. On découvre un homme qui s’est reconstruit, qui travaille même pour la police. Sa patte de tatoueur fait des merveilles quand il s’agit d’esquisser des portraits-robots.
Dans ce second opus, Paul a pris quelques rides. Il a surtout pris sous sa protection Azami, la fille de Yoko, son amante dans Little Tulip qui n’a pas hésité à se sacrifier pour faire tomber une organisation criminelle. Azami est devenue une femme, elle est entrée dans les forces de l’ordre. Flic à New York, ce n’est pas une sinécure. Pour pouvoir se défendre, elle s’est mise au bodybuilding avec quelques excès "médicamenteux". Suffisamment pour qu’un gynécologue la déclare stérile. Quelques heures après cette annonce catastrophique, Azami découvre un nouveau-né encore vivant dans une poubelle. Un signe, pense-t-elle. La tentation est trop forte. Après la déchirure du verdict médical, cette découverte bouleverse sa vie. Paul accepte le choix de sa "fille" et se mue en baby-sitter attentionné. Entre son salon de tatouage qui ne désemplit pas, son job de "portraitiste" pour la police, Paul n’a ni le temps de s’ennuyer ni celui de se replonger dans ses années noires sibériennes qui vont pourtant lui revenir en pleine figure, comme un uppercut violent asséné à la dernière seconde d’un match de boxe.
Trafics en tous genres
Cet enfant est, en effet, issu d’un épouvantable réseau de trafic d’enfants organisé par un escroc qui entretient une noria de mères porteuses. Et ce réseau - aussi terrifiant soit-il - n’est qu’une étape dans un immense jeu de dupes mené par des créatures issues, comme Paul/Pavel de l’enfer du goulag. Des personnages revenus hanter les jours de notre tatoueur. Paul et Azami vont devoir remonter toute la filière, s’enfoncer dans les artères les plus putrides de New York, fréquenter les oubliés de la terre pour pouvoir conserver "leur enfant" et tenter de mettre fin à un trafic de "nectar", une "eau-de-vie" pour laquelle certains nantis sont prêts à tous les sacrifices pour tenter de freiner les effets du temps qui passe.
Boucq et Charyn travaillent régulièrement ensemble depuis des lustres, on connaît leur créativité, mais ils parviennent encore à nous surprendre.
New York Cannibals est d’abord un vrai polar, doublé d’une critique de certaines dérives de notre société.
Le scénario est ciselé comme une partition fine, le dessin de François Boucq, amoureux fou du mouvement, est sans faille. Quelle vigueur, quel travail pour arriver à un tel niveau de perfection ! New York Cannibals est un vrai bijou conçu par deux artistes au sommet de leur créativité. Avec un énorme coup de cœur pour le dessin d’un des plus grands artistes actuels du IXe art.

New York Cannibals Bande dessinée De Jérôme Charyn et François Boucq, Le Lombard, 152 pp Prix env. 24,5 €, version digitale 9,99€