Un meurtre dont rien n’est dit
Irène Frain évoque le silence fait autour de l’assassinat de sa sœur aînée.
Publié le 02-10-2020 à 16h22 - Mis à jour le 07-10-2020 à 17h22
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Le père qu’elle admirait. La mère qui ne l’aimait pas. Et maintenant la sœur. Irène Frain n’a cessé, dans ses romans, d’évoquer sa famille et la Bretagne rurale où elle est née. Avec Un crime sans importance, elle touche toutefois à un domaine particulier et, sans doute, plus nécessaire à sa sérénité. Denise, sa sœur aînée, a, en effet, été victime d’une agression très violente en septembre 2018. Elle en est morte sept semaines après son admission à l’hôpital, moment où Irène a été prévenue, tardivement et par courriel. Pourquoi ? Qui ? Comment ? Dans quelles circonstances ce meurtre s’est-il produit ? Elle veut savoir. N’obtenant pas de réponses à ses questions légitimes, elle dénonce, dans un livre rageur et accusateur, l’indifférence et les silences de ceux qui, chargés d’enquête, se sont peu préoccupés d’éclairer les faits.
Les faits. C’est le premier mot de ce livre soucieux de restituer une réalité encore proche puisque écrit récemment, à peine quatorze mois après le crime. "Ce samedi-là il a fait beau". C’est tout ce que l’on sait de concret. Une femme de 79 ans, vivant seule, a été brutalisée à mort dans son pavillon de banlieue. Elle était en parfaite santé, cultivée, soignée, méfiante. Elle confectionnait des sachets de lavande au moment où son assaillant l’a surprise. Personne n’a rien vu ni entendu. Les souvenirs sont vagues. On la connaissait peu. Les rumeurs se mêlent aux supputations et, bientôt, à la peur : trop de dealers dans le coin, trop peu d’impunité… C’est son fils aîné qui l’a découverte, inquiet de ne pas l’avoir vue à l’office évangélique où ils avaient l’habitude de se retrouver.
Pas de marche blanche pour les retraitées
En réalité, personne ne sait quoi que ce soit. Ou si peu. La police tarde à remettre son rapport. Ce qu’elle n’a toujours pas fait au moment où Irène Frain entreprend d’écrire. Pour comprendre. Parce que c’est sa sœur. Pour livrer sa colère et ses révoltes. Obstinée à éviter que cette tragédie tombe dans l’oubli, elle dit ses manques, ses blessures d’enfance (qui ont fait l’objet de livres précédents), ses sentiments, ses refus, les liens privilégiés qu’elle a eus avec sa sœur si brillante et protectrice avant qu’un jour elle ne s’isole. Elle s’adonne surtout à une critique cinglante de ceux qui sont restés muets face à ses interrogations. La police qui promet. La justice qui tergiverse. La presse qui ne se bouscule pas. La famille qui se défile. Ayant engagé un avocat, écrit au procureur, elle éprouve que le meurtre d’une retraitée ne provoque pas de marche blanche : "Seuls les enfants ont ce pouvoir et les femmes si elles sont jeunes, belles ou riches".
À travers une narration pointue et souvent heurtée - comme des hoquets de rage ou de détresse -, Irène Frain mêle l’intime, la douleur et le social avec la détermination d’une enquêtrice qui n’entend pas se laisser duper et "se répare à réparer les histoires". Les histoires qui ont des trous. De larges trous qui s’élargissent au fil du temps.

Un crime sans importance Récit De Irène Frain, Seuil, 265 pp Prix env. 18 €, version numérique 12,99 €