La vieillesse au regard frétillant de Bernard Pivot
La lucidité souriante d’un homme qui ne veut pas perdre le temps qui lui reste.
Publié le 06-01-2021 à 15h07 - Mis à jour le 20-01-2021 à 22h23
:focal(1275x858:1285x848)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/UO62KNIWI5ETLICPCMREOPCL44.jpg)
Les vieux sont, depuis un an, dans l’air du temps. Et pas seulement à cause de la pandémie qui livre bataille à leur… fragilité. Rarement, ils ont tant chatouillé l’inspiration d’écrivains qui s’en font les porte-voix, pulvérisant des clichés souvent étouffants. Et voilà que Bernard Pivot lui-même s’en mêle. En connaisseur éprouvé. C’est qu’il en est, avouant sans ambages ses 82 ans dans un livre qui semble n’avoir de fictif que le nom du narrateur, ici éditeur, derrière lequel le créateur et animateur d’Apostrophes se tient en embuscade empathique. Ayant résolu d’écrire ses Mémoires, il y avait éprouvé de l’ennui et le sentiment de perdre son temps à ausculter archives et souvenirs hirsutes. Il changea de perspective et opta pour les lumières du présent. On ne peut que s’en réjouir.
Sous le titre en soi prometteur … mais la vie continue, un homme découvre les inconvénients aussi bien que les privilèges de son âge. Et c’est une petite merveille de justesse, de piquant, d’humour frémissant et d’autoanalyse critique. Rien n’est édulcoré ni complaisant. On se rassure au partage de désagréments qui n’épargnent personne. On se prend une cure bienfaisante d’optimisme et de stimulation à cultiver ses amitiés et ses mots croisés. On se met à rêver de bousculer les barrières et les contraintes. Pas d’amertume, de résignation ou de revendication dans ce témoignage. C’est mieux qu’un médicament contre le stress ou la déprime.
La liberté de flâner
Le récit investigue, en séquences diversifiées, la vie d’un homme qui, sans rien cacher des réalités souvent astreignantes de son quotidien, s’installe à distance et met en parallèle ses états de santé défaillante et son bonheur toujours intense à savourer les petits ou grands plaisirs qui s’offrent à lui. Sans doute y faut-il de la curiosité et de la persuasion. Mais avoir la liberté de flâner autour de son croissant du matin et la référence à une expérience qui convainc que "non, ce n’était pas mieux avant" apportent une sagesse souriante et apaisante. Les "Jeunes Octogénaires Parisiens" - les JOP - huit amis qui se réunissent régulièrement autour d’un bon repas parlent de tout, parfois selon un thème proposé, sauf de politique. Mais de leur mémoire qui flanche, de leur pouvoir perdu, de leurs empoignades - délicieux aveu de Pivot - avec l’ordinateur, de leurs addictions superstitieuses, de leur peur de manquer, de tomber, de déchoir, d’Alzheimer, des crampes de nuit, de voir partir ceux que l’on aime… La santé se pose en sujet récurrent. On parle avec légèreté de choses sérieuses, avec concentration de choses futiles. Si le manque de galanterie et les jeans troués d’aujourd’hui sont condamnés à l’unanimité, la mode décomplexée, le téléphone portable et WhatsApp qui permet de converser avec ses proches au loin sont plébiscités.
La vieillesse au regard averti et frétillant de Pivot n’est sans doute pas une aventure de tout repos. Il en sait les risques et les angoisses. Mais la vie continue. Et il faut la saisir, tant qu’elle est, avec la conviction lucide qu’elle vaut que l’on s’y attache. Une apostrophe qui appelle le désir. Et, d’abord, celui de le lire.
… mais la vie continue Roman De Bernard Pivot, Albin Michel, 224 pp. Prix 19,90€, version numérique
