Ce qui reste et a été perdu
Nicole Malinconi dresse l’inventaire des bouleversements vécus par les enfants de l’après-guerre.
Publié le 18-01-2021 à 17h09 - Mis à jour le 20-01-2021 à 17h58
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Avant de s’intéresser à des sujets plus extérieurs, Nicole Malinconi a souvent écrit à partir de ses souvenirs personnels ou familiaux. Hôpital silence, Nous deux - prix Rossel en 1993 - Da solo, A l’étranger sont faits de cela. Elle y revient avec un récit, Ce qui reste, qui, en ce début d’année 2021, est une sorte d’inventaire des changements auxquels ont été confrontés les enfants nés juste au sortir de l’après-guerre de 1940. Ceux à qui leurs parents répétaient, lorsqu’ils renâclaient devant leur assiette pleine, qu’il leur faudrait une guerre pour apprendre à vivre.
C’était un temps où l’euphorie de la Libération n’occultait pas encore les traditions et croyances inscrites à l’héritage des grands-parents. Un temps où les mères apprenaient à leurs filles ce qu’elles-mêmes avaient appris de leur mère. Où le père était seul à avoir un métier, considéré comme une "bonne situation" le jour où une auto s’en venait remplacer son vélo habituel. On n’obtenait rien sans effort. Les enfants ignoraient tout de la vie privée de leurs parents. Et si les grands-parents avaient, eux, vécu deux guerres, peu de choses avait changé au long de leur existence. Mais, là, ça bouge et à un rythme étourdissant.
Modernité et processions
La pénicilline avait fait son entrée. Une avancée considérable que les ravages de la polio allaient pourtant tempérer. Dans l’euphorie retrouvée, les pères écoutaient les informations à la radio et le récit des étapes du Tour de France. Les mères s’intéressaient à l’avenir de la princesse Margaret d’Angleterre et chantaient "Douce France". Toutes sortes d’appareils qui lavaient, aspiraient, conservaient ou séchaient allaient bientôt les libérer de l’esclavage du ménage, leur offrant de rêver aux femmes en bikini qui se prélassaient dans les pages de leur hebdomadaire. On ne parlait pas de féminisme. Mais on y allait, à pas encore hésitants, bientôt déterminés. L’arrivée de la télévision à l’intérieur des maisons faisait souffler un vent de modernité, tandis que des gens, sur les trottoirs, regardaient toujours défiler les processions. Le repas de communion solennelle dépassait tous les autres. On "fréquentait, courtisait". Les secrets de famille ne sortaient pas de la famille. Personne ne s’offusquait que l’on dise "un aveugle, un sourd, une femme de ménage". Les mots "pédé, tapette" étaient prononcés avec un sourire en coin.
Style sobre et net
Passant en revue des faits, des attitudes, un vocabulaire, une ambiance faite de contrastes, Nicole Malinconi raconte les fabuleux changements d’une époque, ce qui a survécu, ce qui a été emporté au profit de ce qui s’est appelé progrès. Contrairement aux images sans lien de l’inventaire de Prévert, son énumération d’images et d’attitudes poursuit l’objectif précis de saisir la part d’humain prise dans les bouleversements qui touchent le quotidien et les idées. Elle marque l’évolution de la réflexion soumise aux révolutions de la médecine, de la technique, de l’électrique et, plus tard, de l’électronique. Dans ce style sobre et net où pointe son admiration pour Duras, elle livre le bilan d’un monde et ce qui lui est advenu en peu de temps. Elle souligne, dans les mémoires et dans les actes de ces petits-enfants d’après une guerre qu’ils n’ont pas connue, ce qui a été perdu et ce qui reste d’un autrefois si différent des réalités de leur vie d’aujourd’hui.
Ce qui reste Récit De Nicole Malinconi, Les Impressions Nouvelles, 128 pp. Prix 13 €, version numérique 8,99 €
