La guerre, toujours la guerre
Grâce aux propos de figures militaires historiques, le général Le Nen éclaire ce phénomène.
Publié le 20-01-2021 à 17h58
Les hommes se font la guerre depuis la nuit des temps, ou plutôt, sans doute, depuis qu’ils se sont inventé des arcs et des flèches. Dans la Bible, les Juifs en appellent au Dieu des armées, l’Iliade chante les héros de la guerre de Troie. En 1945, nous avons cru que la bombe atomique rendrait la guerre impossible. La suite nous a prouvé qu’il n‘en était rien.
Un petit livre original et brillant éclaire aujourd’hui cette activité humaine à travers ce que de grands soldats ont à nous en dire. Son auteur est le général Nicolas Le Nen, breveté de l’École de guerre, qui a commandé le 27e bataillon de chasseurs alpins et le service action de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure, autrement dit les services espionnage et contre-espionnage français).
Hannibal : "aimer ses soldats"
Se projetant dans l’après-vie, il a imaginé rencontrer les ombres de quelques grandes figures militaires du passé à l’Hôtel des Invalides à Paris qui abrite le Musée de l’Armée. Avec elles, il évoque la nature de la guerre, ses victoires et ses sacrifices, ses causes, ses stratégies, ses transformations au cours des âges, ses relations au politique. À propos de celles-ci, le maréchal Rommel (1891-1944) et le général Guderian (1888-1954) lui confient leur dilemme : "Ne pas se battre, c’était abandonner la patrie en danger de mort ; se battre, c’était servir un régime abject. Nous avons choisi le patriotisme quitte à servir l’abjection".
Rencontré peu après, le maréchal Joukov (1896-1974), qui conquit Berlin en mai 1945, explique que pour gagner une guerre moderne, on attend d’un chef militaire qu’il ait trois qualités qui sont indissociables : qu’il sache conseiller, et même un peu plus, son chef politique (sous-entendu Staline), qu’il ait une conception juste de ce qu’est la guerre de son temps, qu’il sache conduire les batailles qui s’offrent à lui. Cela dit, ajoute le maréchal, on n’est rien sans le courage et le dévouement de ses soldats. Un propos qui fait étrangement écho au général carthaginois Hannibal (-247 à -183 av. J.-C.), le vainqueur des Romains au lac de Trasimène et à Cannes : "Le vrai génie militaire est d’abord d’aimer ses soldats".
Le recours à la violence
Mais voilà que l’ombre de Carl von Clausewitz (1780-1831), dont le livre De la guerre a fait l’un des plus grands penseurs militaires de l’Occident, rappelle cette vérité cruelle : "Le recours à la violence est l’essence même de l’action militaire : celle-ci ne se fait pas uniquement par intérêt mais aussi par orgueil ou par peur, deux domaines dans lesquels les réactions humaines restent toujours imprévisibles". Croisé peu après, son contemporain Napoléon rappelle, lui, que lorsque la Convention décréta, le 23 août 1793, la levée en masse de toute la nation, 600 000 hommes se retrouvèrent sous les drapeaux : "D’un seul coup, la guerre de masse venait d’être créée, celle qui a ensuite ravagé l’Europe et le monde un siècle et demi plus tard".
La guerre inéluctable ?
Inattendue, une ombre insolite s’est glissée parmi ces grandes ombres militaires : celle du philosophe tchèque Jan Potocka (1907-1977), figure de proue des contestataires de la dictature communiste à Prague. C’est la transformation du rapport de l’homme à la nature pour faire de celle-ci un objet d’exploitation et de domination au service de l’Europe occidentale, explique-t-il, qui a conduit aux guerres en chaîne qui culminèrent dans la Première Guerre mondiale. Le défi du XXIe siècle, conclut-il, consistera à "inventer une nouvelle humanité qui sorte de l’impasse dans laquelle l’a jetée le modèle industriel, à défaut de quoi l’humanité est vouée à des catastrophes dont la guerre ne sera que la première manifestation".
Voilà des mots qui sonnent comme un tocsin.
Petites mémoires d’outre-guerre Histoire De Nicolas Le Nen, Ed. du Rocher, 166 pp. Prix 15,90€, version numérique 11,99 €
