"Le Colibri", le grand roman de l’amour, malgré tout
"Le Colibri" de Sandro Veronesi renoue avec "Chaos calme" pour offrir un roman épatant, plein d’émotions.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dbef88af-a777-4e76-9966-40b1fd6e9729.png)
Publié le 20-01-2021 à 17h35
:focal(1275x858:1285x848)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/GL4NNHWTEZAQVDLUUVWUZLHTOU.jpg)
Le Colibri de Sandro Veronesi nous arrive auréolé d’un triomphe en Italie. L’écrivain a reçu pour la seconde fois le prix Strega, le Goncourt italien, après son inoubliable Chaos calme en 2008. Le Corriere della Sera l’a choisi en 2019 comme le livre de l’année. Il vient, par ailleurs, de recevoir, en France, le prix du Livre étranger France Inter/Le Point.
Comme l’était Chaos calme, Le Colibri est un grand roman sur la vie, plein d’émotions et de sentiments jusqu’au trop-plein, mais qui sont transfigurés par le talent de Veronesi.
Il raconte la vie de Marco Carrera depuis son enfance dans les années 70 (il est né en 1959) jusqu’à sa mort en 2030 (!).
Enfant, sa toute petite taille le faisait surnommer le colibri. À son adolescence, un médicament miracle lui a donné une taille normale. Mais il est resté cependant, toute sa vie, un colibri, car comme le lui dit Luisa, son éternel et impossible amour, il est tel cet oiseau qui peut rester immobile dans le ciel, en déployant pour cela, une folle énergie avec 80 battements d’ailes à la seconde.
Comme Pietro Paladini dans Chaos calme, Marco se retrouve ainsi dans "l’œil du cyclone" de la vie, ce lieu paradoxal de calme alors que la tempête sévit tout autour. Le roman débute en 1999 quand Marco, devenu ophtalmologue à Florence, reçoit la visite incongrue, au mépris de toute éthique, du psychanalyste de sa femme Marina, venu l’avertir d’un grand danger qui le menace.
L’Innommable
Tout le roman circule alors entre les époques, par des allers et retours, bousculant toute chronologie. En tête de chaque chapitre, une date éclaire cependant le lecteur et rend la lecture fluide. Cette construction en zigzag est la manière choisie par Veronesi d’éviter au lecteur d’étouffer sous tant de sentiments mêlés.
Et peu à peu se dégage une vie de drames et d’amours : les parents de Marco qui se disputent, le père dont il doit organiser l’euthanasie, son frère Giacomo dont on ne comprend que tard la raison de son silence, sa passion de jeunesse pour le tennis et les jeux d’argent, entraîné par son ami l’Innommable. Et sa sœur Irène tant aimée qui se suicide sans qu’il n’ait pu prévenir le drame, et la maladie mentale de son épouse Marina, et la chute de sa fille Adèle.
Adèle était tout pour lui et il était tout pour elle qui, enfant, se croyait reliée au mur en permanence par un fil qui représentait comme le cordon ombilical avec son père.
Et puis il y a Luisa, un prénom sans cesse répété, pour un amour éternel, secret, jamais consommé.
Marco voit sa vie défiler devant lui sans qu’il ne bouge, tel le colibri.
Le hasard frappe les uns et les autres, avec ses bonheurs (éviter par miracle un crash d’avion), ses malheurs, avec la découverte de la paternité (un thème récurrent chez Veronesi), et la joie de devenir grand-père d’un "enfant du futur" au nom japonais de Miraijin, symbolisant l’avenir comme le fait Greta Thunberg dans la vraie vie.
L’emménalgie
Ce serait du gâchis de vouloir résumer un livre si foisonnant qui parle des relations difficiles entre parents et enfants, au sein d’une fratrie, et entre hommes et femmes, comme de l’obsession de Marco pour les psychanalystes.
Veronesi utilise tous les styles littéraires : dialogues savoureux, lettres, listes, E-mails, références littéraires jusqu’à y ajouter des petits traités comme celui sur le regard ou sur "l’emménalgie" qui serait ce tourment mélancolique dû au désir de continuer au-delà de toute limite. "Tu te soustrais aux lois et aux décisions d’autrui, tout comme le colibri est capable de voler à reculons", lui écrit Luisa.
Le thème de l’immobilité est cher à Veronesi : "Il y a des êtres qui se démènent toute leur vie, désireux d’avancer, écrit-il. Puis il y a en a d’autres qui parcourent une longue route aventureuse tout en restant immobiles, parce que c’est le monde qui glisse sous leurs pieds et qu’ils se retrouvent loin de leur lieu de départ : Marco Carrera était de ceux-là." Rester immobile demande autant d’efforts que de bouger.
Le Colibri est un grand roman d’amour et de mélancolie, de joie, de tristesse et de nostalgie. Un hymne à la résilience qui nous permet de vivre.
Il se clôture par la mort de Marco en 2030, entouré de ce que fut sa vie, quand la consolation et un avenir possible se mêlent enfin. La dernière phrase de Veronesi est "Prions pour lui et pour tous les bateaux en mer".
Le Colibri Roman De Sandro Veronesi traduit de l’italien par Dominique Vittoz, Grasset, 380 pp. Prix 22 €, version numérique 14,99 €
