Aller vers son désir, même s’il nous en coûte
Dans "Over the Rainbow", Constance Joly raconte avec tact l’homosexualité de son père dans les années 70.
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Publié le 21-01-2021 à 12h29 - Mis à jour le 24-07-2021 à 19h00
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Il est doux, tendre et enveloppant, le nouveau roman de Constance Joly, Over the Rainbow. La narratrice, qui n’est autre que l’autrice elle-même, se souvient de son père Jacques et, avec lui, d’une époque - en gros la deuxième moitié du XXe siècle.
Il aurait pu s’agir d’une simple et banale déclaration d’un amour que nombre d’enfants portent en eux. Mais Jacques n’est pas un père comme les autres. Originaire de Nice, monté à Paris à la faveur de son mariage avec Lucie, il fait ce que l’on appelle aujourd’hui son coming out dans la foulée de mai 68.
Le début du livre est une gifle. Constance Joly raconte comment, alors qu’elle vient d’accoucher, celle qui avait été sa grande amie quand elle avait seize ans lui rend visite. Les retrouvailles sont une erreur. La façon dont Justine, l’amie, va parler du père de Constance, "vieil homo mort du dass" (sida en verlan) va être le déclic pour la fille de remonter le cours de la vie de son père. Elle mettra vingt ans pour s’y atteler. C’est-à-dire aujourd’hui. Mais il n’est jamais trop tard.
Délicatesse et respect
En une cinquantaine de courts chapitres comme autant de souvenirs racontés dans un ordre chronologique, Constance Joly s’adresse à son père à la 2e personne du singulier. Elle l’aura connu durant 22 ans. Les souvenirs, elle va les quérir dans sa mémoire et, quand il n’y en a plus assez, dans les albums photos ainsi qu’un film super 8. Elle a les mots justes pour parler de sa mère, "submergée par le chagrin", comme de son père, "il t’a fallu du temps pour consentir à être toi-même", à une époque, ne manque-t-elle pas de rappeler, où "l’homosexualité est encore répertoriée comme une maladie mentale". Nous sommes en 1976.
La famille de sa mère qui coupe les ponts, les réactions qu’elle imagine des voisins par rapport au couple que forme son père avec Ivan, son attitude à elle, quand, enfant, son géniteur lui présente son copain avec qui il vit : Constance Joly n’édulcore rien de cette époque qui a l’air si lointaine, sans aucun ressentiment dans ses propos. Sa plume est délicate et respectueuse.
On la sent habitée par quelques regrets, notamment quand sa vie d’apprentie femme la coupe de lui. "L’amour, c’était la seule chose importante. Le reste - toi, ma mère, mes études - figurait en pointillés." Et aussi ce besoin irrépressible d’essayer de savoir où son père a bien pu rencontrer ce virus innommé, inconnu. Et de parler d’un temps où le sida était une maladie secrète, coupable, honteuse. Nous sommes en 1988. Avec la peur de cette maladie, la stigmatisation des homosexuels est à son comble.
Un roman tout en intensité qui n’exclut pas la légèreté.
- *** Over the Rainbow | Constance Joly |Flammarion, 180 pp. , 17 €, version numérique 11,99 €
EXTRAIT "Il paraît qu'avant même de me prendre dans tes bras, tu avais compté tous mes doigts. Tu avais été rassuré - c'est bien, il y en avait dix -, tu avais réussi, tu étais père d'une enfant normale, toi qui devais te vivre en mari usurpé, en père imposteur. Toi qui devinais sans doute que l'élan qui t'avait jeté vers le corps de ta femme, celle que tes amis t'enviaient, n'avait rien de spontané."