Décès du dernier géant de la BD, Jean Graton, le père de Michel Vaillant
Jean Graton avait créé Michel Vaillant, à Bruxelles, en 1957.
Publié le 21-01-2021 à 19h30
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C’est un monstre sacré du IXe art qui vient de tirer sa révérence à 97 ans. Le dernier rescapé d’un âge d’or qui a conféré ses lettres de noblesse à la bande dessinée et qui a définitivement assis notre pays comme vitrine mondiale d’un art complet mais trop souvent encore dénigré.
Jean Graton, le père de Michel Vaillant, était une légende. Un amoureux de la mécanique qui a fait toute sa carrière chez nous, pendant près de 70 ans, sans jamais renier son léger accent breton.
Lors d’une rencontre à la fin des années 1990, cet homme massif, né en août 1923, aimait raconter qu’il avait baigné dans les bolides dès son plus jeune âge grâce à son père qui était commissaire au Club motocycliste nantais où il organisait des courses régionales. "On allait aussi voir les 24 Heures du Mans. Quels souvenirs", lâchait-il avec un sourire gourmand.
Mais Jean Graton se souvenait aussi de la suite, beaucoup plus compliqué, avec le décès de sa mère quand il n’avait que 11 ans et l’arrestation de son père par les Allemands en 1939. "J’ai dû apprendre à me débrouiller tout seul très tôt." L’adolescent entre alors au chantier naval de Nantes. Une "expérience fondatrice", insistait-il. "Être obligé de faire tout ce qu’on déteste, tout en se faisant engueuler par des gars qu’on ne supporte pas, c’est terriblement motivant quand on est jeune pour se dire qu’il faut être prêt à prendre des risques pour faire ce qu’on aime dans la vie."
À 24 ans, en 1947, fort de cette détermination, il abandonne le chantier naval, Nantes et la France pour mettre le cap sur Bruxelles où vit une de ses tantes. "Je voulais dessiner. Bruxelles était la place où il fallait être. J’ai vraiment fait du porte-à-porte pour présenter mes dessins. J’ai d’abord travaillé dans la publicité. À la commande. C’était pas bien gras mais ça me permettait de gagner un peu ma vie et de dessiner."
En 1949, il entre au journal Les Sports où il signe ses premiers dessins sportifs. Le coup de crayon est déjà fluide et assuré.
Oncle Paul
Dans la foulée, il frappe à la porte du magazine Spirou où il rencontre le scénariste Jean-Michel Charlier et le dessinateur Victor Hubinon (les auteurs de Buck Danny et de Barbe rouge). Le duo comprend rapidement le potentiel de l’artiste qui se présente devant eux. "C’était des mecs d’une exigence artistique. Avec eux, vous appreniez à travailler, retravailler et encore retravailler", expliquait-il près de cinquante ans plus tard.
Pour la maison de Marcinelle, il mettra en images plusieurs récits de l’oncle Paul, véritable passage obligé pour toute une génération de dessinateurs.
En 1953, il passe chez l’ennemi et entre au magazine Tintin. Il poursuit son travail sur de courts récits de quatre pages mais, cette fois, il signe scénario et dessin. Une liberté qui lui offre la possibilité de mettre en scène ce qui le passionne : les belles mécaniques.
L’univers Vaillant
Le 7 février 1957, pour un nouveau court récit, il invente le nom de Vaillant. La légende veut que, s’arrêtant un instant pour regarder par la fenêtre, il aperçoit ses voisins en train de s’affairer autour d’une moto. Le fils du voisin s’appelle Michel, le futur héros s’appellera Michel Vaillant.
Les courts récits s’enchaînent, le courrier des lecteurs, suprême baromètre de la popularité à cette époque, redemande du Vaillant. En 1959, c’est le premier album : Le Grand Défi. Soixante-quinze autres titres suivront avec des personnages typés à souhait mais aussi les vrais acteurs du monde de la course automobile. Laffite, Prost, Senna, Jacky Ickx, tous vont courir avec Michel Vaillant.
Il suffit de replonger dans certains titres pour comprendre la qualité de la patte de Jean Graton, sa passion pour les bolides mais aussi et surtout pour le dessin. Michel Vaillant aura sa série télévisée dès 1966. Treize épisodes où le rôle de Michel Vaillant est joué par un vrai pilote champion de formule 3, Henry Grandsire, et tournés lors de vraies courses.
Au début des années 2000, Luc Besson, fan de BD, adaptera Michel Vaillant sur grand écran.
Jean Graton a touché plusieurs générations de lecteurs de BD ou d’amateurs de sport automobile avec ses personnages et ses récits, son goût du sport et son talent de dessinateur précis et rigoureux. Un géant de la BD s’en est allé.