La mort avant la mort
Un fils accompagne son père dans les derniers instants de sa vie. "Ici-bas", un premier roman touchant de Pierre Guerci.
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Publié le 21-01-2021 à 15h56 - Mis à jour le 24-07-2021 à 18h58
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Ses derniers jours, le père du narrateur de Ici-bas va les passer à domicile. Atteint d’une maladie neurodégénérative, son état se dégrade petit à petit. L’on assiste à sa déchéance à travers le regard de son fils cadet. L’homme, aujourd’hui âgé de presque 90 ans, a eu cinq enfants de deux femmes différentes. N’ayant jamais divorcé de la première, il ne vécut que ponctuellement avec la seconde, une ancienne élève vingt ans plus jeune que lui, et ne vit ses deux fils que lors de moments "volés".
Victime d’un AVC, l’épouse légitime a été placée dans un home. La voie est libre, cette fois, pour que tous les enfants rendent visite à leur père dans sa maison. Anne-Marie et Sylvie d’un côté, Stéphane et le narrateur de l’autre. C’est ce dernier qui passe le plus de temps avec son géniteur - entre Sylvie (60 ans) et lui (30 ans), une génération les sépare.
Préciosité de l’écriture
Sous la plume aiguisée de Pierre Guerci (Paris, 1987), l’état des lieux est sans concession. Les rapports entre les deux fratries sont tendus. Quand ils se croisent, leurs échanges sont aussi courtois que froids. Le narrateur croit percevoir dans le regard de ses deux demi-sœurs "un air de défiance à peine bon pour un vagabond immiscé dans la famille en qualité de garde-malade, dont on craindrait qu’il n’abuse de la faiblesse de son patient pour s’arroger une part indue de son héritage, si l’on n’avait pas d’abord peur qu’il nous vole son affection".
Celui qui fut professeur de médecine et dirigea un service hospitalier est tout à fait conscient du mal qui le ronge. Quand son fils lui demande ce qu’est une atrophie multisystématisée - que Sylvie, passée en vitesse, a lu dans le dossier médical -, il se met à en détailler les symptômes. "Diminution de l’équilibre, troubles urinaires, ataxie, dysphagie, difficultés d’élo… d’élocu… d’é-lo-cu-tion." Pierre Guerci les développe au quotidien : les repas qui sont passés au mixeur, les loisirs réduits à la télévision et, "afin d’interrompre le matraquage des infos en continu", des livres audio, aussi, avec casque sur les oreilles du paternel car "ce silence-là n’avait pas de prix".
En l’absence de la garde-malade Saouda, retournée aux Comores enterrer son propre père, le fils s’occupe de la toilette intime de son géniteur. Aucun détail ne nous est épargné quant aux soins qu’il lui dispense. Le réalisme cru et la trivialité de certains passages contrastent avec la préciosité de l’écriture et un emploi démesuré du passé simple et des subjonctifs. Trop de style tue le style. Les nombreuses envolées lyriques prenant le pas, la lecture perd en fluidité.
- Ici-bas | Pierre Guerci | Gallimard, 200 pp., 18 €, version numérique 12,99 €

EXTRAIT "Il arrivait d'ailleurs encore fréquemment que je peinasse à me mettre tout à fait au rythme de mon père et que je restasse bras ballants à ses côtés, perplexe face au mur subitement reconstitué de l'incommunicable. Mais je n'essayais plus de noyer mes dissonances dans une fanfare dilatoire, et j'avais renoncé à m'épouiller constamment dans la crainte de débusquer en moi-même un sentiment négatif renégat."