Ces Hutus qui résistèrent à la folie génocidaire
Jean Hatzfeld poursuit son travail magnifique et bouleversant sur le génocide rwandais.
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Publié le 22-01-2021 à 15h27
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Jean Hatzfeld continue sa grande œuvre d’anthropologue et d’écrivain sur le génocide rwandais. Il a interrogé, cette fois, les très rares Hutus qui ont résisté à la folie génocidaire au péril de leur vie. Comme pour le génocide des Juifs, on pourrait les appeler les Justes, mais il montre comment, aujourd’hui encore, plus de 25 ans après les faits, quand parfois les bourreaux libérés côtoient leurs victimes, ces héros restent silencieux, objets de méfiance. Parce qu’aux yeux de certains Hutus ils incarneraient la trahison alors qu’aux yeux de certains Tutsis, il serait impossible qu’il y ait eu des Hutus qui les aient sauvés.
Là où tout se tait est déjà son sixième récit sur ce sujet. Après avoir rencontré les rescapés, les tueurs et les enfants nés après le génocide, il est revenu sur les collines de Nyamata, comme dans ses livres précédents. Là où entre le 11 avril et le 14 mai 1994, 51000 Tutsis sur les 59000 qui y vivaient furent massacrés, "coupés" comme on le dit là, dans la langue imagée si particulière que Jean Hatzfeld restitue fidèlement. Dans un génocide hallucinant, effectué comme un travail méthodique de fonctionnaire, à la main, à la machette.
Et pourtant, dans cet enfer, il y eut des courageux, des Justes : ils s’appellent Marcienne et Marcel qui furent assassinés y compris par leur fils, pour avoir aidé des Tutsis, il s’appelle Isidore qui tenta de s’interposer en criant "Cessez de couper vos avoisinants tutsi" et fut tué par un Hutu qui s’appelait Samaritain.
Un trou d’aisance
C’est l’histoire aussi de Jean-Marie Vianney Setakwe et de sa femme Espérance, un Hutu qui protégea trois jeunes Tutsis - Théophile, Innocent et Damascène. Il les cacha dans ses plantations de sorghos et les renseigna sur la barrière dressée par les tueurs. Il risquait un coup de machette mortel mais leur sauva la vie. Pourtant, il n’a pas reçu de vache pour son courage quand les nouvelles autorités, bien plus tard, récompensèrent les résistants.
C’est l’histoire d’Eustache, le chef opérateur à la poste de Nyamata, un Hutu qui a pu sauver son épouse tutsie, Edith. Parfois il a pu amadouer les tueurs en leur offrant de l’argent pour épargner leurs victimes désignées.
À côté de la maison d’Eustache, dans sa parcelle, un trou d’aisance fut utilisé pour entreposer les morts. Devote, une Tutsie, raconte comment elle y fut jetée avec son enfant, on la croyait morte. Elle a pu sortir de ce trou, sanguinolente, sans son enfant. "Pourquoi moi seule vivante de ma famille ?", dit-elle à Jean Hatzfeld. "Comment est-ce qu’une personne jetée ensanglantée dans une toilette en sort vivante ?"
Elle n’éprouve aucune joie d’être une survivante et ne peut oublier ce trou. Aujourd’hui, elle croise à Nyamata l’homme qui l’avait poussée dans le trou et qui a purgé sa peine. Il lui a demandé pardon, et elle a répondu : "Oui, si tu veux", mais, ajoute-t-elle, de toute façon aucun pardon n’est possible".
Là où tout se tait Récit De Jean Hatzfeld, Gallimard, 221 pp. Prix 19 €, version numérique 13,99 €
