Ces instants où l’on sent que la vie bascule
"Les orages", treize nouvelles émouvantes de Sylvain Prudhomme, qui explore l’intimité de la fragilité humaine.
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Publié le 22-01-2021 à 14h57 - Mis à jour le 12-03-2021 à 16h09
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Les orages Nouvelles De Sylvain Prudhomme, Gallimard, coll. "L’arbalète" Prix 192 pp., 18 €, version numérique 12,99 €
Sylvain Prudhomme, après plusieurs romans et reportages petits et grands, avait vu le prix Femina 2019 consacrer son grand talent pour Par les routes, qui explorait avec finesse la mécanique du hasard, les errances du désir et de l’amitié. Voici qu’il publie Les orages, un recueil de nouvelles dont certaines ont paru dans des revues diverses. Écrites pour la plupart entre deux confinements, elles traduisent le souci de la fragilité humaine - peut-être exacerbé par l’agitation microbiologique de l’année écoulée. Pour autant il n’est pas question ici de cataclysme mondial. Le dérèglement n’est pas à chercher à l’échelle planétaire mais à celle de l’intime, plus difficile à déceler de l’extérieur. Voilà la grande force du livre : s’immiscer en autrui, dans ses failles, dans les angoisses trop humaines que sont la mort et la maladie, l’amour et le temps qui passe ; en faire de la littérature sans la manière forte de l’écrivain, c’est-à-dire sans effusion de pathos et de style. Au contraire, la prose sensible qui caractérise l’œuvre de Sylvain Prudhomme, tout en humilité et en subtilité, permet une véritable empathie, et surtout y inclut le lecteur.
Au fil des nouvelles, la variété des personnages renforce ce constat. Ce sont treize histoires plus ou moins courtes. Treize miniatures où l’on découvre, sur un mode impressionniste, une existence bouleversée, une vie qui change de cap, un être qui dévoile sa vulnérabilité.

Après la pluie...
La plupart décrivent une scène en apparence ordinaire, dans un temps très bref. Un nouveau-né dont la vie tient à un souffle. Un couple voyant l’amour et le désir chanceler. Des images fugaces, éphémères. Ce ne sont pas de banals instants du quotidien, encore moins les grandes étapes d’une destinée. Ce sont les orages : ces micro-événements où l’on comprend que la vie ne sera plus jamais la même, des points de bascule, des transformations irréversibles dans l’équilibre électrique du cerveau, imperceptibles hormis de l’intérieur. Ainsi est décrit, dans le neuvième texte intitulé "L’appartement", un de ces moments, alors que le narrateur quitte les murs entre lesquels il a passé une demi-vie : "Cette fois il s’en va. Le moment mériterait des roulements de tambour, des trémolos de violons, trois coups comme au théâtre. Dans un mauvais film il y aurait sans doute de la musique, la petite musique de la vie qui passe – mais non : il n’y a rien. Tout est comme toujours. Les bruits sont les mêmes. Le silence est le même. L’immobilité des choses est la même."
Quelques-unes des nouvelles se déroulent dans un temps plus étendu, telles "Awa beauté" ou "La tombe", suivant toutefois le même type de mouvements. La première, la plus longue et parmi les plus belles, qui suit la trajectoire brisée net d’une jeune femme au Sénégal, laisse deviner les attaches africaines de l’écrivain voyageur né en 1979, qui a vécu une partie de sa vie en Afrique et y a consacré une partie de son œuvre (Tanganyika Project, Léo Scheer, 2010 ; Les grands, L’arbalète/Gallimard, 2014).
N’en déplaise à Georges Brassens qui regrettait un amour né sous "L’orage", ceux de Sylvain Prudhomme finissent aussi par passer. Après la pluie, après la nuit où tout est mis sens dessus dessous, nettoyé par l’eau du ciel, vient le calme. Et quelquefois le silence est le bienvenu.
