Détournement d’art pour les enfants
Les livres d’art pour enfants se jouent parfois des codes. Grégoire Solotareff nous dit toute l’importance de l’imagier. Tandis que Julien Couty revisite les grands standards de l’impressionnisme.
Publié le 25-01-2021 à 10h31 - Mis à jour le 25-01-2021 à 16h40
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L’imagier reste un des premiers livres d’enfants, un incontournable. Un mot, une image. Une simplicité douée d’efficacité. Une porte ouverte vers un monde, d’autres univers, l’apprentissage de la lecture, de la parole, et bien sûr de l’image, du beau, du langage plastique.
Source de créativité pour les artistes, les imagiers fleurissent à chaque saison et se déclinent à l’infini. Ou offrent aux plus petits l’envie de passer à l’art, comme le suggère Grégoire Solotareff, un grand amateur. Son album le Petit Musée, réalisé avec Alain Le Saux, est paru pour la première fois en 1992. Maintes fois réédité, vendu à 300 000 exemplaires, il est devenu un classique du genre.
Grégoire Solotareff, l’un des chefs de file de la littérature jeunesse, reprend aujourd’hui l’exercice, et se concentre sur Picasso, choisissant les détails d’une quarantaine de tableaux. En ouvrant la visite par une colombe, non pas celle, stylisée, qui fut largement commercialisée, mais une estampe, réalisée en 1949. Un Vase de fleurs (1901-1904), et deux pages plus loin, voici le détail du Buste de femme avec un chapeau, une gravure, qui dévoile un visage plus fragmenté et semble appeler le jeune lecteur de ses grands yeux expressifs. Suivront encore un bateau, un joueur de flûte ou encore le chapeau d’une Femme avec une cape (1901), qui donne à la peinture à l’huile toute son épaisseur. Ces objets, personnages et animaux forment un ensemble joyeux, vif et surprenant pour une approche ludique de l’art.
De la Bretagne du Sud, où il se confine et travaille beaucoup, en regardant la pluie tomber depuis une semaine, Grégoire Solotareff promet le début d’une nouvelle collection.

Pourquoi, trente ans après "Le Petit Musée", être revenu à l’imagier ?
Entre le Petit Musée et Picasso imagier, les années passant, j’avais toujours cette envie de travailler par peintre, de créer une collection, des petits livres moins importants, avec une quarantaine d’images, dont le sujet est indiscutable. Les artistes fabriquent leurs propres signes. Je trouvais intéressant de rendre des détails, où ils donnent toute leur mesure, où on les reconnaît tout de suite. Comme Gauguin, Matisse, Van Gogh… Des peintres que j’aime. Ou encore Renoir, auquel sera consacré le prochain imagier. Malheureusement, il est certains héritiers qui refusent qu’on procède de la sorte, puisque je choisis chaque fois des détails. Mais je ne perds pas espoir. Les discussions ne sont pas totalement terminées.
Pourquoi avoir ouvert la collection avec Picasso ?
J’ai une immense admiration pour Picasso, bien qu’il soit très inégal. Avec ce livre, on se rend compte de la diversité de son œuvre. On croit voir plusieurs peintres. Il y a des périodes que je n’aime pas, comme dans les années 50, où on a l’impression qu’il est mondain, que la peinture ne l’intéresse pas, mais il y a aussi la période magnifique des années mythologiques.
Selon quels critères avez-vous sélectionné les œuvres ?
Les sujets se sont imposés par rapport aux milliers de tableaux que j’ai consultés. J’avais un focus instinctif sur l’œil, par exemple, comme avec Alain Le Saux, pour le Petit Musée. On regardait les tableaux du Louvre, on se focalisait sur un objet, on y voyait un signe, la promesse d’une très belle page… J’ai beaucoup de reproductions que j’ai découpées de cette manière-là, juste pour recadrer un sujet.
Quand l’idée de la collection est-elle réellement née ?
En voyant une affiche de Van Gogh avec une chaussure. Je me suis dit : "Il faut faire l’imagier idéal avec les peintres qu’on aime".
Les détails de l’album ne sont classés ni par ordre chronologique, ni alphabétique. Quelle logique avez-vous suivie ?
Une sorte de musique intérieure dans le classement, un certain rythme, arbitraire et subjectif, pour un inventaire assez absurde, dans la succession, qui me va. Exactement comme dans une exposition.
Voulez-vous, grâce à cette collection, initier les enfants à l’art ?
Non. Je marche au désir quand je me mets au travail. Souvent, ce sont les images qui me donnent envie de travailler. Je souhaite dire aux enfants qu’ils peuvent y aller aussi, goûter au plaisir dans le dessin. L’idée du livre est de leur donner envie de dessiner, de représenter des détails, de créer leur imagier personnel.
Que leur apporte ce genre littéraire ?
L’idée que chacun a une vision différente d’une même chose et qu’on a le droit de représenter ce qu’on aime de la façon dont on peut le faire. Il n’y a pas d’impératif dans l’art. On fait ce qu’on veut. Une bonne peinture est le dévoilement de la personnalité. Picasso a produit des images avec des techniques différentes. La peinture, c’est la liberté de faire ce qu’on veut comme on veut. En réalité, dans le Littré, l’imagier est un fabricant ou vendeur d’images. Le terme a été dévoyé par L’Imagier du Père Castor, dans les années 60. J’ai joué avec les mots pour la collection. Picasso imagier, V an Gogh imagier… Ce sont les imagiers de l’art.