À la mémoire de Jean-Jacques Pauvert
Françoise Lefèvre exprime à l’éditeur son infinie gratitude.
Publié le 12-03-2021 à 16h13 - Mis à jour le 12-03-2021 à 16h14
À l’instar, en chanson, de celle pour l’Auvergnat de Georges Brassens, il est rare de lire un livre à ce point empreint de gratitude comme l’est Retour au royaume. À 78 ans, après un long silence, Françoise Lefèvre honore la mémoire de celui qui publia son premier livre : Jean-Jacques Pauvert, le plus libre d’esprit et le plus éclectique des éditeurs de langue française. Où sont les Pauvert d’aujourd’hui ? Nulle part.
De Françoise Lefèvre, nous avons plus d’une fois célébré les œuvres où s’associent la sincérité du cœur et les élans du corps. Près de vingt livres qui suscitent une émotion que le temps ne ternit pas. De l’un d’eux, L’Or des chambres, paru en 1976, le surréaliste Gilbert Lely (qui fut l’un des premiers biographes de Sade) affirma qu’il s’agissait d’un cri d’amour "comparable à celui de Louise Labé et de la Religieuse portugaise".
En 1997, s’effeuillant l’âme dans Un soir sans raison, Françoise Lefèvre mesure l’extrême : "Amour. Incendie. C’est pareil", dit-elle avec la fulgurance propre aux purs poètes. Et y parle de "la démence d’aimer" comme n’en parle personne, sinon Aragon, sinon Duras sans doute.
La brûlure des poètes
Pour son bouleversant Petit Prince cannibale, sorti chez Actes Sud en 1990, Françoise Lefèvre obtint le prix Goncourt des lycéens. Ce livre, reconnaît-elle, "aura contribué à changer le regard du public et de certains soignants sur l’autisme infantile". Aux précités ouvrages s’ajoutent Mortel Azur, Consigne des minutes heureuses, En nous des choses tues, L’Offrande et autres Se perdre avec les ombres qui touchent par leur simplicité, leur gravité, leur générosité au fil de pages à reflets d’aubes et d’hivers.
Aujourd’hui, avec Retour au royaume, Françoise Lefèvre s’adresse directement à Jean-Jacques Pauvert qui, en 1974, édita La Première Habitude qu’en 1975 couronna le Grand prix des lectrices de Elle.
Au début des années 70, abandonnée par l’artiste peintre qui partageait sa vie depuis qu’elle avait vingt ans et déjà maman de deux enfants (elle en aura quatre), Françoise Lefèvre se trouva plongée dans une misère noire à Paris, après avoir sillonné, un chapelet de mois durant, les routes de Scandinavie et du Moyen-Orient. Elle avait quitté l’école à 15 ans, n’en retenant que la brûlure des poètes, de Verlaine à Mallarmé, d’Apollinaire à Baudelaire et Rimbaud.
Écrivez !
Françoise Lefèvre apprit, par hasard, que Jean-Jacques Pauvert - dont elle ignorait tout - désirait publier des témoignages du vécu de femmes, sans que celles-ci fussent nécessairement capables de les rédiger elles-mêmes. Pour lui, ne compterait que l’authenticité desdits témoignages. Leur vérité.
Au soir de sa vie, "avant l’oubli", Françoise Lefèvre décida d’exprimer par un livre sa reconnaissance éperdue à celui qui fut sa providence. Elle l’avisa de son projet mais, laissant hélas inachevé le second volume de ses Mémoires, Jean-Jacques Pauvert s’éteignit à Toulon le 27 septembre 2014 ; autodidacte absolu, il avait vu le jour le 8 avril 1926 à Paris. Et c’est à Paris, en janvier 1972, qu’en son bureau de la rue de Nesle il reçut la jeune femme qui lui résuma ses tribulations. Minute d’enchantement pour Françoise. Citons-la, car c’est ce qui importe : "Voici bientôt 50 ans, vous m’avez dit : Écrivez ! Ce verbe à l’impératif, je l’ai reçu comme la foudre. Il a rejoint en moi une espérance secrète remontant à l’enfance et bien au-delà. Il a réveillé une douleur. Une absence. Un abîme […] Toute mon existence en fut métamorphosée."
À la page 132 de ce poignant et mordant récit, celle qui a "confiance en l’étoile des contes" dit merci à jamais au "Magicien" de sa vie : "Vous, le premier à m’avoir reconnue, alors que je me trouvais dans le plus grand dénuement, l’anonymat absolu. En prononçant un mot, un seul, vous m’avez sauvée ! Je vous dois tout."
Retour au royaume Récit autobiographique De Françoise Lefèvre, Jacques Flament (44 rue Principale, F-08380 La-Neuville-aux-Joûtes), 158 pp. Prix 15 €
