José Luis Munuera signe une adaptation bluffante d’une nouvelle d’Herman Melville
Après Spirou, Zorglub ou Merlin, l’auteur s’attaque au scribe Bartleby.
Publié le 17-03-2021 à 15h00 - Mis à jour le 17-03-2021 à 15h02
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Étonnant. Inattendu mais magistral. La dernière création de José Luis Munuera est un bijou, un travail ciselé de part en part bien loin des univers pourtant déjà très variés qu’il nous avait offerts jusqu’ici.
Le lecteur de bandes dessinées un peu attentif a compris depuis belle lurette que cet artiste espagnol est capable de tout. Lui qui nous a déjà imaginé des récits de grandes aventures comme les cinq tomes consacrés à ses pirates de la famille Campbell, après avoir "repris" les aventures de Spirou, travaillé sur des histoires courtes du Marsupilami ou lancé une autre série centrée sur le personnage de Zorglub, sans oublier son personnage de Merlin, une collaboration avec Dufaux (Sortilèges), le dessin du dernier Tuniques bleues en date ou son arrêt sur les cas psychiatriques lors de la Première Guerre mondiale,… N’en jetez plus. Et pourtant, malgré cette galerie (non exhaustive), José Luis Munuera parvient encore à nous surprendre en s’attaquant à une nouvelle d’Herman Melville : Bartleby, le scribe.
Héros énigmatique
Bartleby est un personnage étrange. D’abord présenté comme un ouvrier modèle. Un scribe qui ne rechigne pas à la tâche. Sans piper mot, il additionne les lignes pour le plus grand plaisir de son patron avant de glisser imperceptiblement dans une autre dimension, comme gobé par un autre univers.
Bartleby est-il fou ? Est-il simplement inadapté au monde qui l’entoure. En tout cas, il est le moteur et la pierre de touche d’une nouvelle de l’énorme romancier américain Herman Melville. Une nouvelle rédigée en 1853, peu de temps après la sortie de Moby Dick, son immense récit d’aventures, entré au panthéon de la littérature moderne.

Loin de ce grand récit tumultueux, de ce combat dantesque contre la baleine blanche, cette nouvelle est pratiquement un huis clos qui met en scène quelques personnages sans éclat dans un univers de productivité, sans réelle ambition, sans âme. L’homme écrasé par un travail.
"I would prefer not to"
Bartleby, le scribe peu loquace, se retranchera derrière quelques mots "I would prefer not to" (Je préférerais ne pas), qui vont devenir ses seules réponses à son patron ; incapable de lui faire accepter la moindre mission autre que celle d’écrire. "Il préfère (ainsi) ne pas" faire les courses qui lui sont demandées, "il préfère ne pas" travailler en commun avec ses collègues… "Il préfère ne pas" partir quand il sera licencié, contraignant toute la petite entreprise à déménager ses bureaux, son patron étant incapable de forcer son ex-employé à quitter les lieux.
On oscille sans cesse entre crispation et sourire. C’est presque fascinant de voir un employé si poli, si propre sur lui, refuser tout ce que lui demande son patron. Un vrai boss qui ne sait comment réagir face à ce Bartleby qui le rend chèvre. À quoi joue ce scribe ? Cherche-t-il à pousser son patron à bout ?
Tout ce récit est rendu avec une palette graphique en teinte sépia inhabituelle pour Munuera mais terriblement efficace pour mettre en dessin ce récit aux confins du surréalisme et de la fable.
José Luis Munuera, en caméléon de la création artistique, signe un grand album qui pourrait déstabiliser certains de ses lecteurs mais qui s’inscrit dans une trajectoire logique pour cet artiste qui atteint peut-être ici sa pleine maturité.
- José Luis Munuera | Bartleby, le scribe. Une histoire de Wall Street | Bande dessinée | Dargaud |
72 pp.,15,99 €