La grande crise des 40 ans
Un savoureux roman de Charly Delwart sur une névrose jouissive de changement.
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Publié le 17-03-2021 à 12h03 - Mis à jour le 17-03-2021 à 13h36
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Charly Delwart a la névrose délicieusement décalée. Quand il s’autoanalysait dans Databiographie, sa vie ramenée à une suite de chiffres et de tableaux offrait un point de vue original et décapant.
Dans son nouveau roman, Le Grand Lézard, il analyse la crise des 40 ans, y ajoutant certainement une grande pincée personnelle (il est né à Bruxelles en 1975).
Son personnage, Thomas, se morfond en doutes et introspections. Il fait penser au héros de David Lodge dans son roman Thérapie qui passait sa vie en revue, en voyant que sur tous les plans, tout allait bien (professionnel, affectif, sexuel, familial, santé...) et il concluait pourtant qu’il se sentait mal.
Aucun drame
Thomas aussi à l’approche des 40 ans ne vit aucun drame. Certes, il échoue comme producteur de films, trop spécialisé dans les films d’auteurs politiques, des drames du genre La guerre civile au Guatemala générée par United Fruit. "Je me sentais soudain producteur de films ouzbeks confidentiels." Il se demande s’il ne devrait pas se tourner vers les comédies, pourtant pas son truc comme le montre le pitch nul d’un film possible qu’il invente.
Sa vie affective et familiale se déroule apparemment mieux, mais avec le temps, il voit, entre lui et sa femme, comme une dérive lente des continents amoureux, sans qu’il y ait de réels conflits. Son infidélité brusque et décevante avec Virginie n’arrange rien.
"Au départ, il y a une seule idée : on aime l’autre. Mais à mesure que le temps avance, l’idée se divise en plusieurs idées, une différence se formant entre : aimer l’autre, aimer le couple qu’on forme et aimer qui on devient avec l’autre ? Et à la question Tu m’aimes ?, la réponse devient plus complexe."
Recycler les ordures
Alors que se passe-t-il ? Pourquoi cette mélancolie ? Crise passagère ou plus profonde ? "Vaut-il mieux une crise d’angoisse moyenne tous les jours ou une forte attaque de panique un jour sur deux, stresser en ville ou s’ennuyer à la campagne, avoir un bon business dans le recyclage des ordures ou être un acteur culturel moyen ?" Comment retrouver l’énergie ? "Comment ne pas se contenter d’avoir un métier, une famille et d’avoir évité d’être devenu SDF, alcoolique ou héroïnomane ?"
Un rêve récurrent le travaille : il se voit revivre ses journées mais en devenant un nain, un "homme de petite taille". Et là, tout va mieux. Il réussit alors ses films comme Coppola et sa vie sexuelle comme un jeune étalon.

Troublé par ça, il en vient à chercher et apprécier la compagnie des nains dans la vraie vie, mais que veulent dire ce rêve et cette si curieuse obsession ? Est-ce une idée de l’échec ? Ou est-ce, au contraire, un appel à se réveiller, à sortir de sa routine ? "Un rêve peut-il vous réveiller ?", se demande Charly Delwart. "On dit qu’il faut suivre les rêves qu’on a, mais faut-il suivre les rêves qu’on fait ?"
Changer de peau
Peut-être doit-il s’échapper, repartir ailleurs, voir tout de plus loin, permettant de rapetisser nos problèmes (d’où les nains) ? Une manière de changer de peau comme le font les lézards.
Mais n’est-ce pas encore une illusion ? Le philosophe et écrivain anglais Alain de Botton a écrit avec L’art du voyage un essai savoureux où il explique qu’à peine loin, le voyageur regrette le pays de départ. "Il semble, remarque-t-il, qu’on puisse mieux habiter un lieu quand on n’est pas confronté à la difficulté suppl émentaire de devoir y ê tre." La raison en est simple : avec le voyage, on peut s’éloigner de tout sauf de soi-même.
- Charly Delwart | Le Grand Lézard | roman | Flammarion | 255 pp., 19 €, version numérique 14 €