Pour Mario Vargas Llosa, le salut démocratique passe par le libéralisme
Dans "L’appel de la tribu", Mario Vargas Llosa l’essayiste nous présente ses auteurs politiques de prédilection. Tour d'horizon de sept philosophes du libéralisme.
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Publié le 17-03-2021 à 09h57 - Mis à jour le 17-03-2021 à 12h24
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Le 28 mars prochain, Mario Vargas Llosa aura 85 ans. Auteur d’une vingtaine de romans, cet immense écrivain, prix Nobel de littérature en 2010, publie aussi des essais. C’est de cette catégorie que ressort L’appel de la tribu, son nouvel ouvrage paru en espagnol en 2018 sous le titre La llamada de la tribu. Il y a un peu moins de trente ans, l’écrivain péruvien naturalisé espagnol a sorti Le poisson dans l’eau. Il y relatait ses années d’enfance et d’adolescence jusqu’à son départ pour l’Europe en 1958. Il se confiait également sur les années qui précédèrent les élections présidentielles au Pérou en 1990 où il se présenta sous l’étiquette Front démocratique. Élections qu’il perdit face à Alberto Fujimori.
De Castro à Thatcher
À sa façon, L’appel de la tribu est la suite du Poisson dans l’eau. Vargas Llosa commente, de sa plume qu’il a vivante et colorée, ses auteurs de prédilection en matière politique : Adam Smith, José Ortega y Gasset, Friedrich August von Hayek, sir Karl Popper, Raymond Aron, sir Isaiah Berlin et Jean-François Revel - tous penseurs et défenseurs de l’idéologie libérale. Il les présente, analyse leurs idées, décrypte, compare, oppose - le plus souvent - le socialisme au libéralisme. Et ce n’est pas un hasard. C’est qu’avant de ne jurer que par le libéralisme, Vargas Llosa adhéra à la révolution cubaine !
Ce parcours, qui l’a mené du marxisme et de l’existentialisme sartrien de sa jeunesse au libéralisme de sa maturité, il en fait part en introduction de cet essai. La rupture avec Fidel Castro ? Elle remonte à l’affaire Padilla. Du nom du poète Heberto Padilla, activiste au sein de la révolution, qui critiqua certaines mesures et se vit assigné à résidence.
Son passage du communisme au libéralisme ne se fit pas en un jour. "Opter pour le libéralisme a surtout représenté un processus intellectuel de plusieurs années, auquel a beaucoup contribué le fait de résider alors en Angleterre", analyse celui qui vécut de près les onze années du gouvernement de Margaret Thatcher. D’autres se seraient insurgés, lui considère "qu’il y a lieu d’être fier d’avoir eu une gouvernante de cette trempe, cette culture et ces convictions".
Aversion pour l’esprit grégaire
Le titre de l’essai, L’appel de la tribu, est une allusion à l’"esprit de la tribu" de Karl Popper (1902-1994). Dans le chapitre consacré au philosophe autrichien, Vargas Llosa ne cache pas son aversion pour l’esprit grégaire, qu’il rend responsable du nationalisme et du fanatisme religieux, et par la même des plus grands massacres de l’humanité.
Il est toujours bon de rappeler comme il le fait, qu’il y a trois siècles, Adam Smith (1723-1790), présenté comme le père du libéralisme, l’abordait avant tout d’un point de vue philosophique et non économique. Quand "MVLL" contextualise le parcours de chacun de ses "élus", il ne manque pas d’enrober son texte de l’une ou l’autre anecdote, allant jusqu’à les décrire physiquement parfois (chassez le naturel du romancier…).
Par provocation ?
Si dans son introduction, sa défense quelque peu dogmatique du libéralisme laisse perplexe, on apprécie par la suite la mise en perspective historique qu’il propose - soutenue tout du long par le précepte que cette théorie politique est la meilleure. Une démonstration fluide qui convaincra les convaincus. Ci et là, on s’étonne, on s’agace. Est-ce par provocation qu’il réduit mai 68, dans le chapitre consacré à Raymond Aron, à "une relative libération des mœurs, surtout la liberté sexuelle, la disparition des formes de politesse, la multiplication des gros mots dans les médias et pas grand-chose d’autre" ?
Ailleurs, dans le chapitre consacré à Isaiah Berlin (1909-1997), Vargas Llosa explique pourquoi il a perdu le goût des utopies - se ralliant au philosophe letton pour qui ces dernières sont nécessairement totalitaires.
Sept penseurs sur trois siècles : un panorama d’une certaine pensée politique complexe que le talent narrateur de Vargas Llosa rend accessible. Mais sa démonstration est à sens unique. Elle serait tellement plus enrichissante confrontée à un contradicteur. On se prend à rêver d’une émulation avec un autre intellectuel d’opinion opposée, histoire de sortir du carcan théorique pour se confronter à l’ici et maintenant.
Conversation entre Mario Vargas Llosa et Claudio Magris
Pour Mario Vargas Llosa, la littérature est un instrument irremplaçable pour mettre en ordre la réalité, qui est essentiellement chaotique. Pour l’Italien Claudio Magris, le véritable écrivain est celui qui parvient à déceler un ordre caché dans le grotesque et l’absurdité de l’existence. À la faveur d’une rencontre intitulée Roman, culture et société, l’Institut culturel italien de Lima réunissait, en 2009, ces deux immenses intellectuels. La littérature est ma vengeance est le fruit de leurs échanges. Quatre-vingt-six pages à peine, mais un condensé de réflexions d’une redoutable envergure. Habités par un profond respect l’un pour l’autre, ils discourent sur l’Odyssée et Don Quichotte, sur la conception du temps dans le roman contemporain et abordent, inévitablement, de grandes thématiques (démocratie, droits de l’homme, identités, politique). On s’en voudrait de ne pas retranscrire cette réflexion, de Vargas Llosa : "Quand les romans sont vraiment réussis [à la fin de leur lecture], nous revenons au monde avec une sensibilité plus aiguisée, pour comprendre ce qui nous entoure et mieux découvrir la hiérarchie entre l’important et l’accessoire, avec aussi une attitude critique." Une implacable défense et incitation à la lecture…
- *** L’appel de la tribu | Mario Vargas Llosa, traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan et Daniel Lefort | Gallimard, Collection "Du monde entier", 319 pp., 22 €, version numérique 16 €
- *** La littérature est ma vengeance. Conversation | Claudio Magris et Mario Vargas Llosa, traduit de l’italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau, traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Benoussan et Daniel Lefort | Gallimard, collection Arcades, 12 €, version numérique 8,50 €