Bernard Gheur rend un lumineux hommage à François Truffaut
"Les orphelins de François" est l'un des plus attachants ouvrages de l'écrivain liégeois. Un récit autobiographique pétri d'humour et de sensibilité. Une lecture qui rend heureux. Nostalgique aussi.
Publié le 18-03-2021 à 16h55 - Mis à jour le 18-03-2021 à 18h00
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Journaliste entré en 1972 au quotidien liégeois La Meuse, Bernard Gheur s’y trouvait le dimanche 21 octobre 1984 lorsque, à 20h02, tomba sur les téléscripteurs une dépêche de l’Associated Press annonçant le décès de François Truffaut à Neuilly, à 52 ans, des suites d’un cancer. Déchiré, il se mit aussitôt à rédiger un article qui commençait par "François Truffaut était le plus bienveillant des artistes."
Après minuit, écrit-il aujourd’hui, "je quittai le journal. Dans l’obscur escalier de la rue de la Montagne, je me mis à pleurer comme un enfant perdu." Le 26 juillet 1983, la dernière lettre que Bernard reçut du réalisateur de Jules et Jim se terminait par ces mots : "surtout, ne doutez pas de mon amitié."
Moissonneur de souvenirs
Né à Liège le 8 février 1945, discret auteur d’émouvants romans tels que La Scène du baiser, Le Lieutenant souriant, La Bande originale, Nous irons nous aimer dans les grands cinémas et Les Étoiles de l’aube (prix Marcel Thiry 2012 et prix des Lycéens 2013), Bernard Gheur se dit "moissonneur de souvenirs". C’en est un délicat bouquet qu’il nous offre avec l’autobiographique Les orphelins de François.
À 17 ans, Bernard envoya une lettre-confession à François Truffaut ; lettre qui n’obtint pas de réponse mais que le cinéaste conserva dans ses archives où on la retrouva. Voilà ce qu’on apprend dans cet hommage aux scintillantes demi-teintes, rendu au réalisateur de Tirez sur le pianiste et La Peau douce qui, jeune critique virulent, dénonçait la "tristesse sans fin des films sans femmes".
Cinéphile-né, Bernard Gheur fit parvenir à Truffaut, en octobre 1965, une nouvelle de quatre pages. Cette fois, l’autodidacte réalisateur des Quatre Cents Coups prit la plume pour inciter l’écrivain en herbe à en développer le sujet afin d’aboutir à un roman : "Vous en êtes capable et je pense sincèrement que vous devriez le faire." Cette réponse, avoue Bernard, "changea ma vie". Devenu roman, Le Testament d’un cancre paraîtra chez Albin Michel en 1970, soutenu par Robert Sabatier et préfacé par Truffaut. Il valut à Bernard Gheur de recevoir une lettre de Jean Renoir, l’un des dieux de Truffaut : "C’est un très beau livre, non seulement troublant de justesse mais chargé d’une poésie inhabituelle."
Éveilleur de roman
Dans Les orphelins de François, avec humour et la sensibilité rendant si attachants ses romans, Bernard Gheur évoque le temps du collège, sa fréquentation assidue des salles de cinéma de Liège dans les premières années 60 quand, adolescent passionné par la Nouvelle Vague, avec quelques copains, il écrivit et tourna des courts métrages au moyen d’une petite caméra Kodak 8 mm, en quête de jolies actrices de leur âge.
On y savoure, par ailleurs, de cordiaux entretiens que Gheur eut, à Paris, avec la première épouse du réalisateur de La Femme d’à côté, Madeleine Morgenstern, mère de ses deux filles aînées qu’il adorait, et avec l’un de ses fidèles amis, Claude de Givray, coscénariste de Baisers volés et Domicile conjugal. Un livre à la fois tendre et ardent qui célèbre celui qui, pour Bernard Gheur, fut "éveilleur de roman". Sa lecture rend heureux. Nostalgique, aussi.
- *** Les orphelins de François | Bernard Gheur | Weyrich, 304 pp., 16 €