Nos petits secrets professionnels, la suite

Cela, les écrivaines Dominique Costermans et Régine Vandamme l’ont bien compris, elles qui viennent de publier le tome 2 du Bureau des secrets professionnels. Histoires vécues au travail . Un véritable kaléidoscope, à nouveau, de notre société, de différents cas de figure dans un univers impitoyable, à quelques exceptions près, où le rendement et l’apparence font souvent office de religion.

Trop investi, intimement lié à l’intégrité et à l’identité de chacun mais aussi véritable levier d’indépendance, le monde professionnel est pétri de paradoxes. Source de joies et de souffrances, il occupe dans les existences des uns et des autres une place et une importance considérables, qui sont parfois remises en question. Comme en témoignent à nouveau ces propos recueillis par les deux autrices auprès de ceux qui désiraient se confier, raconter leurs histoires, sous quelque forme que ce soit : orale, écrite, anonyme, par mail, via les réseaux sociaux ou un dispositif ouvert à la Foire du livre 2019.

Le bureau des secrets professionnels a même été accueilli dans une société qui fait de l’outplacement ou dans des organisations institutionnelles. Et il n’était pas rare que les gens fassent la file pour y être entendus.

La vacuité du monde de l’entreprise

S’il n’est plus, dans ce recueil d’histoires, réécrites au scalpel, telles de véritables nouvelles aux indéniables qualités littéraires, de témoignages aussi poignants que dans le premier tome, à l’image de celui du personnel soignant dans une unité de soins intensifs en temps de Covid, ou d’un enfant atteint d’un cancer, on retrouve néanmoins une constante, déjà sous-jacente dans le premier volume : la vacuité, la nullité même parfois, du monde de l’entreprise, ou en tout cas d’un certain monde professionnel. Bienvenue au royaume des petits arrangements entre chefs, des promotions téléguidées, des propositions indécentes et du cynisme à tous crins. Certes, les récits émanent rarement de gens qui s’épanouissent ou se réalisent dans leur travail, mais il ressort de la lecture de cet ouvrage, malgré quelques respirations, bulles d’espoir, poches d’amitiés et nids d’amour, un immense sentiment de gâchis et d’injustice. La roche tarpéienne est proche du Capitole. Le cadre d’entreprise l’apprendra à ses dépens lorsqu’il perdra, en une demi-heure, et avec une violente radicalité, tout ce qu’il croyait posséder : une voiture, un ordinateur, un GSM, un agenda électronique rempli de rendez-vous...

Mise à mort

Entre burn-out et bore-out , restructuration, renvoi soudain et injustifié, sous-emploi ou exploitation, lâcheté, hypocrisie, ou retraite ressentie comme une mise à mort, la femme et l’homme trouvent rarement leur juste place au travail. Et si l’employeur n’est pas épargné, l’employé qui s’approvisionne sans scrupule en fournitures à la veille de la rentrée scolaire de ses enfants, celui qui se fournit en timbres, ou un troisième qui abuse des sandwiches à chaque réunion, avant la sieste, et dans l’attente confortable de la pension, n’en sort pas grandi non plus.

On croisera encore, au fil des pages, l’alcoolique ramené complètement saoul chez lui, le schizophrène persuadé de travailler pour les services secrets, la télétravailleuse qui rogne peu à peu sur ses horaires de travail pour mieux observer les ânes, véritables compagnons de confinement, le nouveau chef qui, confronté à la solitude du pouvoir, perd la confiance de ses anciens collègues ou la coach de vie heureuse de permettre une reconversion à certains. Ce deuxième recueil de secrets professionnels convoque une galerie de portraits touchants de sincérité. Et d’interrogations. Car si le monde du travail ressemble à celui décrit en ces lignes, sans doute serait-il urgent de se demander où nous avons échoué.

"Le Bureau des secrets professionnels. Histoires vécues au travail. Tome 2." Dominique Costermans et Régine Vandamme, Renaissance du livre, 201 pp., 20 €.