De la téléréalité aux réseaux sociaux, la célébrité à la portée de tous

Hasard du calendrier ? Reflet d’une époque, en tout cas. Aussi bien Instagrammable d’Éliette Abécassis que Téléréalité d’Aurélien Bellanger ou Les enfants sont rois de Delphine de Vigan abordent une même thématique : le pouvoir de l’image et tout ce qui en résulte. Comme le culte de l’ego, la quête de la célébrité, la soif d’argent… Qu’ils soient déclinés sur Instagram, sur YouTube ou dans des émissions de téléréalité. État des lieux.

De la téléréalité aux réseaux sociaux, la célébrité à la portée de tous
©BELGA

Hasard du calendrier ? Reflet d’une époque, en tout cas. Aussi bien Instagrammable d’Éliette Abécassis que Téléréalité d’Aurélien Bellanger ou Les enfants sont rois de Delphine de Vigan abordent une même thématique : le pouvoir de l’image et tout ce qui en résulte. Comme le culte de l’ego, la quête de la célébrité, la soif d’argent… Qu’ils soient déclinés sur Instagram, sur YouTube ou dans des émissions de téléréalité. État des lieux.

Le titre du nouveau roman d’Eliette Abécassis, Instagrammable, est on ne peut plus éloquent. Page 146, l’autrice française (Strasbourg, 1969) dresse une liste des sujets instagrammables et ceux qui ne le sont pas. Le milieu dans lequel elle nous plonge est celui des adolescents qui, comme Sarah, son héroïne, "sort de chez elle, son téléphone à la main" et qui, sur le chemin du retour à la maison, "vérifie ses messages sur WhatsApp, Instagram, Facebook et Twitter." Pour certains jeunes de ce début de XXIe siècle, les relations entre amis passent aussi par les réseaux sociaux. Où le virtuel prend le pas sur le réel.

Dans la classe de Sarah, il y a Jade, l’influenceuse aux 750 000 abonnés. Celle qui fait la pluie et le beau temps des relations amoureuses. La dominante, la manipulatrice, qui peut causer bien des dégâts auprès des âmes sensibles. Intrigues amoureuses, trafics d’influence, pornographie : le roman d’Éliette Abécassis pose nombre de questions comme autant de mises en garde.

Auprès de qui l’écrivaine s’est-elle informée ? Capucine, sa star, à qui elle dédicace le livre ? Toujours est-il que le milieu qu’elle décrit apparaît comme un papier-calque de ce que certains adolescents vivent. Vocabulaire et références compris, dans un style privilégiant les dialogues.

Mise en scène de ses propres enfants

Au centre du nouveau roman de Delphine de Vigan, Les enfants sont rois, deux femmes, Mélanie Claux et Clara Roussel. Toutes deux ont grandi dans les années 2000. Quand l’une n’aurait pour rien au monde manqué certaines émissions de téléréalité - tentant même d’y participer - comme Rendez-vous dans le noir, Qui veut épouser mon fils ? ou Loft Story, l’autre vivait au rythme des grèves, manifs et rassemblements auxquels ses parents participaient - ce qui ne l’avait pas empêchée de regarder en cachette la finale de Loft.

Devenue adulte et mère au foyer, Mélanie Claux s’ennuie. Histoire de passer son temps, elle crée sa propre chaîne YouTube, Happy Récré. Au générique, ses propres enfants qu’elle met en scène. Cela commence par une petite vidéo de sa fille qui interprète une comptine et cela se terminera par des mises en scène de plus en plus sophistiquées qui se développeront comme autant de pubs déguisées pour recevoir des produits. Un message personnel de YouTube lui explique les principes de la monétisation - plus on a de followers, plus on pourra recevoir de produits. Celle qui avait été recalée à Rendez-vous dans le noir tient sa revanche : elle affiche 5 millions d’abonnés.

Les enfants sont rois est un pageturner : Delphine de Vigan (Paris, 1966) double sa plongée dans le milieu des Youtubeurs d’une haletante intrigue policière. Kimmy, six ans, la fille de Mélanie, disparaît alors qu’elle jouait à cache-cache en bas de chez elle. Serait-ce un enlèvement avec demande de rançon ? Membre de la Brigade criminelle, Clara Roussel est procédurière, autrement dit responsable des récits judiciaires. Le monde des YouTubeurs, on le découvre à travers son regard naïf. Delphine de Vigan capte très bien la manière d’être au monde des influenceurs. Avec tous les dangers que cela comporte. L’histoire qu’elle a construite est vivante, pleine de détails, rythmée, avec des rebondissements, des interactions, des renvois. Jusqu’à la fin. Plutôt que terminer son livre en 2031, elle aurait pu laisser au lecteur ou à la lectrice le soin d’échafauder son propre épilogue.

Cynisme des producteurs télé

Téléréalité d’Aurélien Bellanger est un titre tout aussi parlant qu’Instagrammable. Le livre de l’écrivain français, qui est également chroniqueur radio, plonge dans le milieu impitoyable des producteurs télé - époque AB Productions, Endemol ou Reservoir Prod. Même sans avoir nécessairement été scotché à toutes ces émissions qui ont déferlé dans les années 80-90, le name dropping qu’effectue Aurélien Bellanger (Laval, 1980) n’aura de pouvoir évocateur qu’auprès de certains. Ardisson, Dechavanne, Delarue, Nagui, de Caunes,… Mais aussi Yves Mourousi, Henry Chapier ou Pascal Sevran. Quand ce n’est pas Elkabbach, Mougeotte, De Greef, Le Lay ou Lescure ! Mais qu’importe, au fond. Car l’auteur mélange habilement la réalité à la fiction.

Qui se cache derrière son héros, Sébastien Bitereau ? D’aucuns y ont vu Stéphane Courbit, président d’Endemol France. Sous la plume de Bellanger, ce Rastignac des temps modernes, après avoir quitté le fin fond de sa Provence, monte à Paris et devient un des plus redoutables producteurs d’émissions de téléréalité. Prétexte pour l’écrivain de nous balader dans les coulisses de la fabrication de ces émissions qui n’avaient d’autre but que d’appâter le chaland. De faire de l’audimat, comme on disait à l’époque.

Bellanger a ses références. Debord et sa Société du spectacle avec la transformation en esthétique des thèses économiques de Marx. Brecht et le moment où le public réalise qu’il est le spectacle.

Téléréalité est un roman jouissif et le style de l’auteur - fantasque, outrancier, vif, parfois grotesque, souvent délirant - y contribue largement.

  • *** Instagrammable | Éliette Abécassis | Grasset, 178 pp., 17 €, version numérique 12 €
  • *** Téléréalité | Aurélien Bellanger | Gallimard, 244 pp., 19 €, version numérique 14 €
  • *** Les enfants sont rois | Delphine de Vigan | Gallimard, 348 pp., 20 €, version numérique 15 €, en livre audio lu par Françoise Gillard (1 CD MP3, 8h30, 19 €)

EXTRAITS

« Sacha attend un sms de Léo qui ne vient pas. Solal, un message de Sacha, mais celle-ci ne lui répond plus et il a du mal à comprendre pourquoi. Jade voudrait un signe de Léo, qui ne lui écrit pas car il ne pense qu’à Emma qui semble avoir disparu, et pour tromper son impatience, il écoute Nekfeu. » (Éliette Abécassis)

« Cette enfant exhibée du matin au soir, cette enfant qu’on pouvait voir en jogging, en short, en robe, en pyjama, déguisée en princesse, en sirène ou en fée, cette enfant dont l’image avait été multipliée sans limites s’était volatilisée. » (Delphine de Vigan)

« Vous ne croyez pas que le yacht, cela fasse un peu bling-bling ? s’inquiéta une voix de femme inconnue. 
- J’ai été élu pour moderniser la France, lui rétorqua sèchement l’intéressé. Pas pour la ramener au Moyen Age.
Ce terme de « bling-bling » fut une révélation pour Sébastien : l’époque, il le comprit en un instant, avait changé, et la France était prête, avec le héros de téléréalité qu’elle s’était choisi comme président, à adopter le comportement désinhibé des stars de la décennie : et si le Loft et toutes ses déclinaisons n’avaient été que des appartements témoins ? » (Aurélien Bellanger)

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