Les photos, les mots et les "Traces" intimes du personnel soignant
Gaël Turine et Caroline Lamarche ont cueilli les portraits et témoignages du personnel soignant de Hôpitaux d’Iris. Bouleversant.
Publié le 30-03-2021 à 16h50 - Mis à jour le 31-03-2021 à 11h42
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Circonspects, épuisés, confiants ou désœuvrés. Songeurs, résignés, perplexes ou désabusés. Résilients, déterminés ou fatalistes. En larmes, aveuglés, éteints, révoltés... Mais aussi, parfois, apaisés, souriants et porteurs… Colorés, ridés, masqués, échevelés, éclatants… Du chirurgien à l’employé de cuisine, de la radiologue à l’agent d’accueil ou à l’infirmière en unité Covid, chaque portrait se singularise. Tous pourtant témoignent d’une même tragédie.
C’est un travail collectif, remarquable, précieux et de mémoire que viennent de livrer le photographe Gaël Turine et l’écrivaine Caroline Lamarche dans l’album Traces, publié aux éditions Luc Pire, à initiative du Collectif Hôpitaux Iris Sud. Des images prégnantes, des mots qu’on n’oublie pas. Ceux de l’agent d’accueil qui se souvient de sa dernière demi-heure, avant le coma, pour appeler une personne de son choix; du brancardier, qui doit déposer une de ses collègues à la sortie; de l’infirmière en chirurgie, sachant que sa main sera la dernière serré par son patient…
En tout, 172 pages de portraits, 40 de textes et la participation de deux cents membres du personnel hospitalier.
Studio photo à l'hôpital
L’idée consistait à donner voix au personnel soignant. A prendre le temps de le photographier. A l’encourager à témoigner son vécu par écrit. A recueillir ensuite ces paroles, à les sélectionner, les rassembler, les ordonnancer. A attendre.
Lors du premier confinement, Gaël Turine a installé un studio photo dans les quatre sites bruxellois - Joseph Bracops à Anderlecht, Molière Longchamp à Forest, Etterbeek-Ixelles à Ixelles et Etterbeek-Baron Lambert à Etterbeek. Une boîte aux lettres et une adresse mail ont été mises à la disposition du personnel pour y glisser ses écrits. Ensuite, Caroline Lamarche et Gaël Turine ont commencé à attendre. Au début, les deux boîtes, aux lettres et photos, restaient vides. Puis, peu à peu, les femmes, les hommes, les lettres, les souvenirs, certains témoignages enregistrés à l’issue des séances photos et les larmes, parfois, ont afflué.
L’ensemble se retrouve consigné dans un livre de taille imposante, pour laisser aux photos la respiration voulue. Entre quelques pages sur papier à épais grammage, se glissent sur feuillets en format lettre, au grain et teint délicats, les écrits collectés et montés avec justesse par Caroline Lamarche.
Un cri
Né d’un cri, celui de ne pas être entendu, cette collecte, dédiée à trois membres du personnel emportés par le Covid, était initialement destinée au personnel. Le projet a pris une dimension inattendue. Vu l’importance des témoignages, la qualité des photos et des textes envoyés, il a rapidement été proposé aux éditions Luc Pire d’éditer le livre. Celles-ci, malgré un début d’année chargé, n’ont pas hésité une seconde et ont mis un soin particulier à sa réalisation. Il en résulte un livre précieux, d’une intense beauté - des portraits plein cadre, multipliés parfois, séquencés, pour mieux dérouler l’instant - d’une réelle universalité, témoin d’une période hors normes, qui secoue le monde entier.
A signaler aussi, le remarquable travail graphique de Chiquinquira Garcia. Ainsi que la préface du philosophe Pascal Chabot rappelant qu’il n’est pas «naturel» que tout fonctionne et que «ces traces sont comme un plaidoyer pour un soin du monde, un soin des autres...»
Du livre à l'exposition ?
En librairie dès à présent, Traces, témoignage universel et poignant de la pandémie, connaîtra sans doute un beau parcours. Il n’est pas exclu qu’il mène à une exposition itinérante, passant par La Maison du Peuple à Saint-Gilles, la Chapelle de Boondael, voire, le Parc Royal et le Musée de la Photographie à Charleroi. Ou encore, pourquoi ne pas rêver éveillé?, à Paris, sur les rives de la Seine…
Très motivée et soutenante pour ce projet, la direction du Collectif Hôpitaux Iris Sud met tout en œuvre pour partager avec le plus grand nombre ces instants d’intimité dévoilée, une initiative née grâce à la psychologue pour enfants Déborah Cordier, encouragée ensuite par la cellule de soutien psychologique mise en place dès le début du Covid.
Il est rare qu’un hôpital accueille des artistes en son sein. Grâce à cette présence, le personnel soignant a pu laisser tomber son costume de super héros pour laisser place à l’art et à l’émotion. Et aux traces qui s’inscriront dans la mémoire collective.
Traces, Gaël Turine et Caroline Lamarche, Collectif Hôpitaux Iris Sud, Luc Pire éditions, 172 pp,, 35 €.