La saga des Cazalet prend des couleurs féministes
Après "Étés anglais" et "À rude épreuve", le troisième volet de la série signée Elizabeth Jane Howard dépeint finement le sort des femmes dans les années quarante.
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Publié le 07-04-2021 à 20h15 - Mis à jour le 07-04-2021 à 20h16
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C’est grâce aux éditions Quai Voltaire que les lecteurs francophones ont redécouvert Elizabeth Jane Howard (1923-2014). En effet, si quatre des quinze titres que la romancière britannique a signés avaient été traduits dans les années cinquante, le reste de son œuvre n’avait pas encore franchi la Manche. Il y eut tout d’abord la parution inédite en français d’ Une saison à Hydra (The Sea Change, 1959). Puis une entreprise de traduction plus conséquente avec Cazalet Chronicles, saga familiale en cinq volumes. C’est sous l’impulsion de son ex-beau-fils, l’écrivain Martin Amis, qu’Elizabeth Jane Howard (en photo ci-après) s’était lancée dans cette ambitieuse fresque qui retrace l’évolution de la société britannique à travers trois générations de Cazalet, de 1937 à l’après-guerre. Devenus des classiques en Grande-Bretagne, ils s’y sont vendus à plus d’un million d’exemplaires, et connurent des adaptations pour la BBC et BBC Radio4.
Attente
Après Étés anglais et À rude épreuve , tous deux parus en 2020, voici déjà traduit Confusion. Nous y suivons les Cazalet de mars 1942 à mai 1945. Là où, dans le volume précédent, c’est un quotidien troublé (black-out, scolarité des enfants chaotique, manque de nourriture, bombardements londoniens…) par le conflit qui s’imposait, une routine s’est installée ici, entre le Sussex et Londres, dans l’attente de la fin de la guerre.

Le décès de Sybil et l’absence de Rupert, porté disparu depuis la bataille de Dunkerque en 1940, pèsent sur leurs enfants respectifs, livrés à un chagrin qui préoccupe peu leur entourage. Le trio composé de Clary, Polly et Louise, cousines du même âge et enfants attachantes d’Étés anglais, sont désormais à l’aube de leur vie adulte. Si Clary et Polly se cherchent, parvenant à conquérir quelque autonomie en s’installant à Londres, Louise, dix-neuf ans, a choisi d’épouser Michael Hadleigh, de quatorze ans son aîné. Le peintre en vue a désormais des responsabilités au sein de l’armée, ce qui ne lui laisse que de rares moments à partager avec Louise. Qui se sent seule et désœuvrée. Peut-elle dès lors regarder la réalité en face ? A-t-elle définitivement tiré un trait sur son ambition de devenir comédienne ? "[…] se marier avait tout bouleversé, de mille façons qu’elle n’avait pas envisagées." D’autant qu’il lui est impossible de se confier. "Les permissions pour les militaires devaient constituer des répits ; on n’était pas censé "faire de vagues" à la maison, mais plutôt offrir au guerrier une "plage" de calme et de repos, et d’heureux souvenirs à emporter avec lui au combat."
Destins empêchés et négligés
La maternité, l’absence de perspectives, les renoncements, une vie dans l’ombre (d’un mari ou d’un amant) ou dans les limbes (dans l’attente de savoir ce qu’il est advenu de Rupert) : les femmes ont peu à attendre de cette époque confuse. Sous la plume gracieuse et alerte d’Elizabeth Jane Howard se dessinent des destins empêchés et négligés avec une grande finesse psychologique. Besoin criant de respect, d’attention, de reconnaissance : la fin de la guerre laisse espérer que tout ira bientôt mieux. Qu’en sera-t-il réellement ? La réponse dans le prochain tome, Nouveau départ, attendu pour octobre.
- Elizabeth Jane Howard | Confusion | roman | traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff | Quai Voltaire | 480 pp., 23 €, version numérique 17 €
EXTRAIT
"Elle sentit la rancoeur, qui avait viré au soulagement lors de son arrivée, commencer à reprendre le dessus. Il semblait toujours croire que le moindre problème pouvait être résolu par de petits agréments passagers. Il l'emmènerait dîner, puis la ramènerait dans cette cahute désolée où elle continuerait à vivre, à n'avoir de conversations adultes qu'avec les commerçants et avec l'homme qui, espérons-le, réparerait ou remplacerait la batterie de la pompe. Tout redeviendrait comme avant: elle serait solitaire et pauvre et de plus en plus inquiète pour l'avenir à mesure qu'elle vieillirait, et un jour, elle le savait, il la quitterait. Elle aurait voulu lui crier: "Et après ?", mais une prudence innée la retint. Elle se battait pour sa vie, et décida de mentir, plutôt que de commettre l'erreur de dire la vérité."