Henri Vernes : le diamantaire, la Résistance, le bordel chinois...
Son dernier roman d'aventure de Bob Morane, il l'a signé à 94 ans. Natif d'Ath, il a grandi à Tournai et il a légué ses archives à sa ville.
Publié le 26-07-2021 à 16h33 - Mis à jour le 27-07-2021 à 11h02
Henri Vernes est né alors que la Première Guerre mondiale n’était pas encore terminée : le 16 octobre 1918. Son vrai nom : Charles-Henri Dewisme. Henri Vernes est un pseudonyme qui apparut le 16 décembre 1953, sur la couverture du premier Bob Morane, La vallée infernale. Drôle de pseudo, direz-vous. C’est un peu comme si un poète signait Hughot. Mais à 99 ans, un peu moins bon pied que jadis, mais toujours bon œil et bonne oreille pour son âge à l'époque, nous avait expliqué que cela n’a rien à voir : “J’avais écrit pour Le Fleuve Noir un roman d’espionnage qui n’est jamais sorti. J’avais pris ce nom-là, prononcé à l’américaine. Puis, lorsque j’ai signé chez Marabout, mon idée était de prendre le nom de Henri Vernès. Ils ont publié mon nom d’auteur en lettres capitales. À l’époque, on ne mettait pas les accents sur les lettres capitales. C’est aussi simple que ça…” 228 Bob Morane plus tard (le dernier qu’il a écrit – à 94 ans ! -, L’or gris de Bolivie, date de 2012), il était, pour tout le monde, Henri Vernes.
Il y a un truc pour s’y retrouver : Jules Verne avait déjà un s à son prénom et il n’en a donc pas à patronyme; Henri Vernes n’a pas de s à son prénom et il en a un à son nom d’auteur.
La DH avant Bob Morane
Il est né à Ath, mais c’est à Tournai qu’il a grandi. Une petite rue y porte son nom et, par ailleurs, il a légué ses archives à la Ville. Père boucher, mère coiffeuse : “Je ne me souviens pas avoir vécu avec mon père et ma mère. Ils se sont séparés trop vite.”
Il a été élevé par ses grands-parents dans une maison marquée d’une plaque commémorative, rue Duwez, au coin du quai Taille-Pierres. Une famille où on lisait La Dernière Heure et, plus tard, en 1950, trois ans avant l’aventure Bob Morane, il publiera, dans la future DH, un roman-feuilleton, Rendez-vous au Pélican Vert.
Dans son enfance, il y a une chose qu’il adorait, la lecture (“Des jouets, j’en avais, mais peu. Je leur préférais les livres.”) Et une chose qu’il détestait : l’école. Même s’il a toujours été premier en composition française. “C’est à quinze ans que j’ai écrit mon premier texte d’une certaine importance. J’ai toujours conservé le document.” Déjà une histoire d’aviateurs !
À la même époque, parce que ça n’allait pas à l’école, on le fit travailler dans la boucherie de son père. “Je détestais le métier de boucher.” En 1936, retour à l’école : il est inscrit à l’internat de l’Athénée de Mons.
Diamantaire et dans la Résistance
Il adorait aussi le cinéma et le jazz. Et le cirque ! À ce point qu’il avait sympathisé avec les artistes et qu’un jour, il se retrouva – pas très fier ! – dans une cage avec huit lions !
Il termina ses études secondaires avec trois années de retard : le dernier effort fut motivé par une rencontre, Gil, fille d’un diamantaire d’Anvers, qui vivait dans un superbe château à Lierre. Mariage le 26 septembre 1940, vie de château et, faute de mieux, il fut initié à la profession de diamantaire, au début de la guerre, dans le quartier… juif. Que, bientôt, les Allemands fermaient. Pour comble, il apprit que sa femme le trompait avec… un officier nazi.
Séparation et retour à Tournai où il entre dans un réseau de renseignement de la Résistance. À Anvers, en créant des bagues pour des bijoutiers en mal de fourniture, il se fit un pactole qui lui permit de tenir jusqu’à la fin de la guerre.
À la Libération, sa décision était prise : il vivrait de sa plume. Comme journaliste au début; comme écrivain si le destin le favorisait…
À 19 ans, dans un bordel chinois...
Ceux qui ont croisé Henri Vernes le diront tous : même à plus de 90 ans, il avait gardé un formidable pouvoir de séduction. À 19 ans, il avait, en plus, un physique à la Bob Morane, favorisé par un solide entraînement sportif : boxe et aviron.
On est en 1937. Le temps des problèmes à l’école. Avec la complicité de sa grand-mère, qui lui donne de l’argent, il décide de quitter la Belgique et d’aller vivre l’aventure ailleurs. Son intention : rejoindre en Colombie un copain d’internat qui est retourné chez ses parents. Il se verrait bien authentique cow-boy, installé dans une hacienda. À Anvers, il déchante : “Les capitaines et les quartiers-maîtres étaient de braves petits employés respectueux des lois, qui n’avaient rien à voir avec les marins décrits dans mes romans d’aventure.”
Alors, son physique, son mètre 90 et son pouvoir de séduction vont servir. Une Chinoise plus âgée tombe sous son charme, lui paye la traversée et l’emmène chez elle, à Canton, où elle tient ce qu’on appelait sur place un bateau de fleurs : un bordel flottant. Les filles étaient des paysannes chinoises ou de jeunes Russes dont les parents avaient fui la révolution bolchevik et qui n’avaient que ça pour faire vivre leur famille.
Un autre copain d’internat avait ses parents à Shanghai. Un jour que la maquerelle chinoise s’en était allée en voyage d’affaires, il prit le train pour Shanghai. Où tout le monde vivait dans la crainte d’une invasion japonaise. Il ne s’attarda guère, rentra en Belgique et reprit ses études.