Henri Vernes, l'homme qui publiait un roman tous les deux mois
Son premier roman, "La porte ouverte", date de la toute fin de la guerre. Par la suite, il a sorti un roman tous les deux mois. BD, cinéma, série télé, dessins animés...
Publié le 26-07-2021 à 17h37 - Mis à jour le 20-08-2021 à 09h43
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Son premier roman, La porte ouverte, signé de son vrai nom, C.-H. Dewisme, sort à Bruxelles à la toute fin de la guerre. Avec un certain succès : on en tirera une deuxième et même une troisième impression. Mais surtout, La porte ouverte lui… ouvre des portes.
Un autre jeune auteur le convainc de partir ensemble à Paris où le Tournaisien arrive avec Mado, sa nouvelle compagne, qui sera la femme de sa vie.
Son copain lui a trouvé une correspondance parisienne pour deux grands journaux de Lille, Nord-Soir et Nord-Matin. C'est la pleine époque de Saint-Germain-des-Prés.
L'aventure Marabout
En 1949, il publie à Paris son deuxième roman, La belle nuit pour un homme mort, qu'il décrira comme "une petite cochonnerie, mélange de perversité, de violence, de fantastique, le tout saucé d'idées subversives." Il s'agissait d'une commande : "J'avais besoin d'argent et je n'ai pas dit non." L'éditeur espérait que le livre soit censuré : il se serait alors vendu sous le manteau et, dans ces cas-là, le succès était assuré. Le roman ne fut pas censuré.
Plusieurs jeunes auteurs belges tentaient leur chance à Paris et notre Tournaisien fit la connaissance de Bernard Heuvelmans, Bib pour les copains, qui était zoologue de formation et se passionnait pour les animaux de notre planète que les scientifiques ne connaissaient pas encore. Il signa, chez Plon, Sur la piste des bêtes ignorées.
C’est lui, Bib, qui, en juillet 1953, amena son copain Dewisme chez Jean-Jacques Schellens, directeur littéraire des Éditions Marabout. Heuvelmans et Schellens se connaissaient depuis à peine un mois. Ils avaient lié connaissance alors qu’ils se trouvaient tous deux en vacances dans le Midi.
Schellens, qui rencontrait un scientifique qui était aussi un auteur, évoqua les projets immédiats de sa maison d’édition. Ils venaient de créer une collection Marabout Junior, destinée à des lecteurs de 10 à 16 ans. Ils souhaitaient lancer un héros nouveau dans des aventures à suites et cherchaient un auteur assez fou pour accepter de leur fournir un roman… tous les deux mois. Heuvelmans songea tout de suite à son ami Dewisme.
La conquête de l'Everest comme premier défi
Les éditions Marabout avaient été créées en 1945 par André Gérard, un imprimeur verviétois, et par Jean-Jacques Schellens qui était un de ses copains de scoutisme. Leur premier roman, La vallée n'en voulait pas, de Jane Abbott, sortit de presse le 15 mars 1949. La collection Marabout Junior est lancée en mai 1953. La rencontre entre Schellens et le bientôt Henri Vernes a lieu dès le mois de juillet.
Il s’agit d’abord de tester l’auteur. Est-il capable d’écrire un livre en quelques semaines ? L’époque ne parle que du héros du moment, un Néo-Zélandais, Edmund Hillary, 33 ans, qui, le 29 mai, a été le premier alpiniste à atteindre le sommet de l’Everest. La plus haute montagne du monde !
On est en juillet; Schellens commande… pour le mois d’août, un roman inspiré par cet exploit. Les conquérants de l’Everest sera, historiquement, le premier livre signé Henri Vernes. En lettres capitales sur la couverture. Et donc, sans l’accent que souhaitait l’intéressé.
L’examen de passage est concluant. Schellens confie à son nouvel auteur la commande de la série à suites destinée au jeune public. Avec, à respecter, les règles du genre : pas (trop) de violence, une morale irréprochable et pas de sexe. Vernes s’amusera à suggérer…
Robert Ujac, Robert Morane, Bob Morane
Dans un premier projet de trois feuillets, Henri Vernes avait baptisé son héros Robert Ujac. Puis, dès la première page de la première aventure, ce fut Robert Morane. Mais, avant d’envoyer le texte à l’imprimerie, il a biffé le prénom Robert et inscrit le diminutif définitif : Bob Morane.
La vallée infernale, premier roman de la série, sort le 16 décembre 1953. Henri Vernes a, à ce moment, un problème technique : il a déjà prévu et payé le voyage de ses rêves vers la Colombie, en passant par la Martinique, Haïti et Porto-Rico. C'est donc sur le bateau qu'il va écrire la deuxième aventure, La galère engloutie. Il enverra le texte de Martinique. Le livre sortira avec un peu de retard. Car à la fin de chaque roman, on annonce la date de sortie du suivant. Il s'agit de respecter les délais… Le troisième, Sur la piste de Fawcett, fut rédigé en Colombie. Les suivants à Bruxelles. Henri Vernes : "Les autres Bob Morane ont été écrits là où je vivais. D'abord rue du Marché-aux-Porcs. Puis au rond-point de l'Étoile à Ixelles. Ensuite, boulevard Reyers à Schaerbeek."
L'actualité et les modes lui amenaient des sujets. La volcanologie dans La griffe de feu. Une série d'accidents d'avion : Panique dans le ciel. Son voyage aux Caraïbes : L'héritage du flibustier. En 1965, après l'assassinat de Kennedy, il sort Le président ne mourra pas.
L'Ombre jaune est devenu l'ennemi légendaire d'un Bob Morane qui fut bientôt propulsé dans les sphères de la science-fiction, voire dans des univers parallèles.
Le film disparu
Le succès du personnage avait été immédiat. Les cinquante premiers romans ont tous fait l’objet de quatre ou cinq rééditions. Jusqu’en 2012, Henri Vernes a signé 232 Bob Morane. Depuis, le personnage a été confié à un autre auteur, Gilles Devindillis, qui, à la fin de 2017, avait écrit huit aventures.
À partir de 1960, Bob Morane est aussi devenu un héros de bande dessinée : 92 albums (fin 2017). Dès 1961, le cinéma s'en empara : L'espion aux cent visages, avec Jacques Santi dans le rôle, fut projeté le 8 janvier au cinéma Scala de Bruxelles. Puis l'unique pellicule brûla dans un incendie et le film fut perdu.
En 1963, douze aventures formaient une série télé, avec l’acteur Claude Titre. En 1998, on en fit une série de dessins animés.
À Tournai, il existe une rue Bob Morane.