L’Europe des Bonaparte prolongea la Révolution
Comment l’ambition de Napoléon se heurta à l’individualité des peuples.
- Publié le 17-08-2021 à 12h25
- Mis à jour le 20-08-2021 à 16h22
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L’accession de Napoléon au pouvoir n’a pas mis fin à la Révolution française. Doué d’une volonté et d’une intelligence exceptionnelles, nourri des idées des philosophes du XVIIIe siècle sur la liberté et le bonheur, il voulut, au contraire, en consolider les acquis positifs, puis les étendre à l’Europe. De cette politique, Vincent Haegele, conservateur des bibliothèques de Versailles, qui a publié la correspondance de Napoléon avec son frère Joseph et une biographie de Murat, nous offre une synthèse magistrale. Elle dessine la continuité du parcours d’un homme qui malgré des erreurs comme le rétablissement de l’esclavage à Haïti et la dérive autocratique de son règne à partir de 1810, a été une figure majeure de la liberté des nations pour tout le XIXe siècle.
Une Europe qui parle français
Revenu en France de son expédition en Égypte (1799), le général Bonaparte choisit de faire de l’Italie le tremplin de son ambition et l’antichambre de ses projets politiques. Sa victoire à Marengo (1800) sur les armées autrichiennes eut un énorme retentissement en Europe. Suite à un enchaînement de victoires et de traités, l’ensemble du continent sembla pacifié en 1803. La Révolution était-elle terminée pour autant ? Les partisans royalistes de Louis XVI n’ont pas désarmé, les factions jacobines les plus sectaires ne se sont pas ralliées. Pour consolider son pouvoir, il lui faut redessiner la carte d’une Europe qui a pris conscience des liens qui peuvent unir ses habitants et dont les élites parlent le français.
Un système de famille
Pour façonner cette Europe, en exploiter les ressources et l’avoir à sa main, Napoléon utilisa de façon surprenante ses frères et sœurs. À l’exception de Lucien qui se brouilla avec lui, ils étaient des modérés. Ainsi, Joseph qui, découvrant les États-Unis en 1815, écrira qu’il y avait trouvé le modèle politique auquel il aspirait pour l’Europe. En attendant, il avait été roi de Naples (1806-1808) puis d’Espagne (1808-1813), tandis que sa sœur Elisa fut grande-duchesse de Toscane, Louis, roi de Hollande, Caroline, reine de Naples, sans oublier son beau-fils Eugène de Beauharnais qu’il fit vice-roi d’Italie et son oncle maternel, le cardinal Fesch, qui le représenta auprès du pape chassé de Rome. Ce "système de famille" fut l’armature de l’Europe dont Napoléon se voulait le nouveau Charlemagne.
Le droit des peuples
La politique menée par l’Empereur fut donc bien, explique Vincent Haegele, une "révolution impériale" mais qui avorta en grande partie. Les taxations de plus en plus lourdes pour financer l’armée et les guerres, un blocus continental pour asphyxier l’Angleterre mais qui frustra nombre de commerçants et d’industriels sur le continent, une misère croissante dans les villes et les campagnes due au chômage et aux réquisitions de toutes sortes (l’armée qui envahit la Russie comportait 60 000 chevaux !), une surveillance policière de plus en plus tatillonne s’additionneront lourdement, tandis qu’une conscription arrachant de plus en plus de garçons à leurs familles cristallisa toutes les colères vis-à-vis d’un pouvoir de plus en plus perçu d’abord comme militaire. Cet ensemble négatif finit par rendre le régime impérial impopulaire à partir de 1809-1810. À Naples comme à Berlin, au Tyrol comme en Espagne, les autorités françaises rencontrèrent une résistance croissante, qui ne venait pas de partisans de l’Ancien Régime, mais procédait de la revendication, y compris par les plus conservateurs, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est l’origine des nationalismes.
Par la richesse de sa documentation et la diversité des situations analysées, Vincent Haegele fait mieux comprendre pourquoi, si Napoléon fut un colosse, comme dit Hegel, "l'individualité de peuples a renversé le colosse".
- Vincent Haegele | Révolution impériale | Histoire | Ed. Passés/Composés, 496 pp. Prix 26 €, version numérique 18 €
