Le cri d’amour de Jean-Claude Grumberg
L’auteur de "La Plus précieuse des marchandises" raconte dans un récit bouleversant la mort de son épouse.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dbef88af-a777-4e76-9966-40b1fd6e9729.png)
Publié le 25-08-2021 à 09h45 - Mis à jour le 25-08-2021 à 12h01
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/277FVDV4FFE4JN5IDMTHHGWL2Y.jpg)
Jean-Claude Grumberg, 82 ans, est un des dramaturges français les plus joués au monde (40 pièces sans compter celles pour la jeunesse). Toute son œuvre est marquée par l’arrestation en 1942, sous ses yeux, de son père déporté à Auschwitz et plus généralement par la destruction des Juifs d’Europe. Sa force est d’en parler avec une formidable humanité, jusqu’à y mêler l’humour avec le tragique.
En janvier 2019, il publiait un conte magnifique, La plus précieuse des marchandises, un court récit qui aborde la Shoah et son opposé : la survie et l'amour.
Le livre est devenu vite un best-seller mondial, mais à nouveau le malheur frappa à sa porte. Au moment où ce succès s'affirmait, il perdait le 4 mai 2019 son épouse Jacqueline d'un cancer au poumon, suite d'une addiction aux cigarettes. Un drame qui le laisse, écrit-il, "irrémédiablement triste face au chaos du monde et aux douleurs de la vieillesse naissante".
Que peut faire un écrivain quand meurt un amour de toujours ? Écrire un livre de deuil, comme Joan Didion le fit dans l'inoubliable L'année de la pensée magique.
Les feuilles mortes
Pendant plus d'un an, Jean-Claude Grumberg a écrit, s'adressant à Jacqueline, lui racontant sa peine infinie, lui déclarant chaque jour son amour. Par bribes et mots simples, il décrit leur vie à deux, avec toute l'autodérision qu'il affectionne, avec des anecdotes mêlant la tristesse et la drôlerie, la pudeur des cœurs et l'impudeur parfois de leur intimité sans "peur du ridicule", dit-il.
Tant qu'il pouvait lui écrire, Jacqueline restait vivante à ses côtés, lui parlant, le moquant même d'écrire "trop long", de "se répéter", tout en l'entourant de ses gestes affectueux. Ses derniers mots à Jean-Claude Grumberg furent : "Tu ne comprends jamais rien".
Puis, Grumberg évoque les souvenirs qui lui reviennent de cette vie à deux, depuis les débuts d'un parcours commun de plus de 50 ans, avec ses quelques orages et surtout ses tendresses qui surgissent par bouffées : le rappel de promenades, d'Yves Montand chantant Les feuilles mortes, la douceur de toucher la main et le corps de l'autre, la joie de retrouver leur fille Olga et leur petite-fille Jeanne. Chaque mot lui rappelle ces instants où ils furent heureux "sans même savoir à quel point nous l'étions".
L’hymne à l’amour
Après ces mois d'écriture, il a bien dû admettre que la tâche de faire vivre éternellement l'aimée était vaine, et que même donner des mots à sa douleur et à leur longue complicité " ne m' a en rien soulagé de la peine de t' avoir perdue " . "Le mot tue la chose" disent même les psychanalystes.
Pris en étau entre la nécessité et l'impossibilité de conclure ce livre de deuil, il poursuit encore cette évocation "de la nuit, du silence, avec les mots des morts trop vite partis".
Jacqueline Jacqueline est un récit magnifique de mots si simples, d'un homme arrivé au soir de sa vie, dans le choc d'une désormais solitude et qui nous parle de ce passage de la vie, bref et miraculeux, entre le néant d'avant la naissance et celui de la disparition trop tôt. Un livre qui chante, comme rarement, l'amour d'un couple, un Hymne à l'amour comme le chantait Piaf que les deux aimaient tant.
"Noircir ces pages fut pour moi comme agiter un mouchoir blanc après le départ du train qui t'éloigne dans l'infini lointain." Il reste à présent seul à attendre le passage d'un prochain train. Il imagine déjà sa notice nécrologique dans Le Monde où serait écrit : "Auteur dramatique qui fut comique et qui ne l'est plus".
- Jean-Claude Grumberg | Jacqueline Jacqueline | récit | Seuil | 288 pp., 20 €, version numérique 15 €
EXTRAIT
"Ne jamais m’arrêter pour te sentir encore et toujours à mes côtés, pour te caresser du bout de ma plume.J’ai peur de me retrouver seul, amputé de la meilleure partie de moi-même."