La quête mémorielle de Caroline Lamarche
“L’Asturienne” : une saga familiale et industrielle contée avec tendresse, précision et lucidité.
- Publié le 06-09-2021 à 11h19
- Mis à jour le 06-09-2021 à 11h24
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Membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, Caroline Lamarche a vu ses œuvres maintes fois récompensées ; mentionnons ainsi le prix Rossel en 1996 pour Le jour du chien, le Goncourt de la Nouvelle en 2019 pour Nous sommes à la lisière et, en 2020, le prix Quinquennal de littérature, la distinction majeure en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Dans une malle de fer
Si l'on connaît Caroline Lamarche en tant que romancière et nouvelliste, c'est une autre facette qu'elle révèle avec L'Asturienne. Au fil d'un récit au long cours dont elle est la vibrante narratrice, l'auteure explore l'aventure industrielle liée à sa famille. Cette œuvre ambitieuse réclama des années de recherches à celle qui inscrit ses pas dans ceux de ses ancêtres.
Douze ans après la mort (survenue en 2001) de son père, Freddy Lamarche (géologue formé à l'École des Mines de Liège), Caroline L. découvrit, dans la cave de la maison familiale, une malle de fer contenant des dossiers réunis et minutieusement conservés par son père : autant de "merveilles engrangées".
Ne résumons pas L'Asturienne : à travers cette quête mémorielle, l'écrivaine conte les heurs et malheurs de la Royale Compagnie Asturienne des Mines qui, dans la province espagnole des Asturies, fut pionnière dans la métallurgie du zinc. Arrière-grand-oncle de Caroline Lamarche, Louis van der Heyden a Hauzeur (1876-1952), en fut le président-directeur-général. Le siège social de la Compagnie se trouva longtemps dans un luxueux immeuble de l'avenue Gabriel, à Paris, à un cheveu des Champs-Élysées (à ce sujet, lire absolument les pages 304 à 307). À la disparition du baron Louis, le domaine minier de l'Asturienne s'étendait sur 86 000 hectares.
Pour écrire cette saga, Caroline Lamarche a mené opiniâtrement l'enquête en Espagne (où elle vécut sa prime enfance à Torrelavega), à Paris (lieu de son adolescence), à Liège, recueillant divers témoignages. On la sent émue, "effrayée par l'ampleur de la tâche", captivée ou accablée (lorsqu'elle mit la main sur une photo de Louis avec Franco, en 1949, document qu'elle n'a pas voulu occulter.)
Égarée entre deux mondes
L'Asturienne pose un regard lucide sur "le grand capitalisme et son cortège d'inégalités" et esquisse des portraits nuancés d'une famille apparue à Liège "au début de la révolution industrielle". Caroline Lamarche y parle de son père avec tendresse : à cet homme respectable et respecté, elle doit le "trésor d'archives" à la source même de cet ouvrage.
Dans ce voyage au cœur d'une légende familiale "passionnante et cosmopolite" dans l'Europe industrielle des XIXe et XXe siècles, la mémorialiste se situe, "consciente d'être égarée entre deux mondes."
Pour sa richesse humaine et historique, son intégrité, ses colères et l'élégance de la langue, L'Asturienne est un récit que Marguerite Yourcenar aurait aimé.
- ★★★ Caroline Lamarche | L'Asturienne | Récit | Les Impressions Nouvelles | 340 pp. illustrées, 22 €