Le prix Renaudot décerné à Amélie Nothomb pour "Premier sang"
Le prix Renaudot a été décerné mercredi à l’écrivaine belge Amélie Nothomb pour Premier sang (Albin Michel), un prix annoncé, comme de coutume, quelques secondes après le Goncourt.
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Publié le 03-11-2021 à 12h55 - Mis à jour le 03-11-2021 à 19h09
L'autrice de best-sellers a été élue au deuxième tour, avec six voix. C'est le troisième prix littéraire d'automne qu'elle décroche, après le Grand Prix de l'Académie française en 1999, et le prix de Flore en 2007. Le Renaudot de l'essai a, lui, été décerné à Dans ma rue y avait trois boutiques (Presses de la Cité) d'Anthony Palou.
Pour son trentième roman, Amélie Nothomb avait choisi d'innover en rendant hommage à son père, le diplomate belge Patrick Nothomb, mort en mars 2020 d'une crise cardiaque, au début du confinement. Elle l'a fait de la plus belle manière en écrivant le roman vrai de la jeunesse de cet homme qu'elle aimait et admirait. Le titre, Premier sang, est bien celui qui coule dans les veines du père comme de la fille.
Le roman part d'une scène terrible que le jeune diplomate Patrick Nothomb vécut à 28 ans quand il était consul à Stanleyville au Congo, d'août à novembre 1964, et qu'il dut faire face à la plus grande prise d'otages de l'histoire, par les rebelles simbas. Un drame qui se conclut par la libération de la ville par les parachutistes belges. "Il protestait avec modestie quand on évoquait son héroïsme dans cette aventure", écrivait notre collègue Philippe Paquet en mars 2020. Amélie Nothomb rappelle cet héroïsme.
Au début du roman, elle montre Patrick Nothomb face au peloton d'exécution des soldats rebelles. Il croit sa dernière heure venue mais sera sauvé. C'était une sinistre plaisanterie du chef des Simbas. La romancière imagine même le chef rebelle demander alors à Patrick Nothomb s'il souhaite avoir encore un troisième enfant. "Cela dépend de vous", répond le diplomate. Ce sera Amélie, née en 1968.
Bande de sauvages
On dit qu’au moment de mourir, on voit sa vie défiler. Amélie Nothomb imagine qu’il en fut ainsi pour son père et que, face à ce peloton de la mort, il revécut son enfance. Elle la raconte alors comme s’il nous la racontait lui-même.
Les Nothomb sont une vaste "tribu" et le patriarche, Pierre Nothomb, poète reconnu, régnait alors sur ses treize enfants et sur la propriété du Pont d’Oye qu’Amélie Nothomb qualifie de "château faible" (en opposition à un château fort).

Patrick Nothomb était son petit-fils, enfant unique, orphelin de père et vivait à Bruxelles. Régulièrement, il était envoyé dans la famille paternelle, en Ardenne, où il était plongé dans une vraie troupe de "sauvages", pleine d'enfants cultivés, pauvres et indisciplinés. Pierre Nothomb préférait improviser des poèmes que trouver à nourrir sa descendance. Il y régnait un joyeux désordre dans lequel le jeune Patrick se sentit vite à l'aise. "J'étais sincère, dit-il via sa fille Amélie. Au-delà des habitants, j'avais conçu un amour véritable pour ce château et cette forêt. Par ailleurs, j'adorais appartenir à cette bande d'enfants sauvages. […] Les moqueries des enfants eurent beau fuser, je rougis de fierté."
Aristocratie belge désargentée
Il aimait bien ce grand-père à la poésie qualifiée par ses enfants de "daube qui fait rire les surréalistes", mais un aïeul qui n'hésita pas plus tard à se mêler des amours de Patrick au nom du "prestige" du nom des Nothomb.
Le "premier sang" du titre rappelle aussi la phobie du sang qu’avait le futur diplomate qui s’évanouissait à sa vue. On imagine mieux encore l’héroïsme qu’il dut avoir pour négocier pendant des mois avec les rebelles simbas au milieu de scènes sanglantes.
Ce bel hommage au père est aussi une plongée exotique dans un milieu aristocratique belge désargenté mais plein d’intelligence et d’humour que la romancière traite sans complaisance mais avec tendresse et fantaisie. Ces origines de Patrick Nothomb sont un peu les siennes et ne sont sans doute pas étrangères à son singulier talent d’écrivaine.