Formidables robots des temps nouveaux
Les géants de fer et d’acier ont à nouveau la cote. En témoignent le dernier tome du "Dernier Atlas" et le retour de Goldorak.
Publié le 07-12-2021 à 15h23 - Mis à jour le 10-12-2021 à 19h24
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L'un a traversé tout l'univers, aussi vite que la lumière (c'est bon, vous l'avez en tête, là ?) pour sauver la Terre d'une invasion extraterrestre. L'autre, qui fit la fierté de la France du Général, est considéré comme le dernier rempart contre un Unknown moving object (Umo, objet mobile non identifié, en V.F.), dont on ignore ce qui le meut. Les deux sont des robots géants, qui partagent aussi la caractéristique d'être des revenants.
Le premier s'appelle Goldorak, héros révéré par toute une génération depuis la diffusion, à la charnière des décennies 70 et 80, d'un dessin animé au succès intersidéral. Un quintet d'auteurs de bande dessinée français le rappelle à notre très heureux souvenir.
Le second, dernier robot de la classe Atlas, porte le nom de George Sand, et est commandé par un quatuor de scénaristes et de dessinateurs. Goldorak et Le Dernier Atlas offrent des plaisirs de lecture différents, mais parmi les plus vibrants que l'on ait ressentis cette année.
Réalité alternative
Nimbé d'une aura quasi-mythologique, Goldorak est issu d'un autre monde. Le dernier Atlas est, lui, un mirage qui épouse de près les contours de la réalité. Ou plus exactement d'une réalité alternative. Le George Sand est le vestige d'une époque révolue, un rêve surgi d'un passé différent du nôtre. Celui d'une France gaullienne qui, dans les années 50, maîtrisait à ce point la technologie nucléaire qu'elle a construit des robots géants tirant leur énergie d'une pile atomique. Dans ce passé recomposé, les Atlas, à la fois engins de construction et machines de guerre, ont notamment permis aux Français de garder la main sur l'Algérie jusqu'en 1968, année d'un tragique accident nucléaire impliquant deux robots géants. À la casse, les Atlas.
Qualifié de "robot maudit", le George Sand pourrit dans un chantier naval en Inde, jusqu'à ce que, cinq décennies plus tard, Ismaël Tayeb, lieutenant d'un gang basé à Nantes se mette en tête de trouver le moyen de le remettre d'aplomb et de le voler, officiellement pour répondre à une commande passée par son boss, un parrain barré surnommé "Dieu le père". L'ambition d'Ismaël tient pour beaucoup de la fascination qu'ont toujours exercé sur lui les Atlas, mais n'est pas non plus sans rapport avec l'apparition de phénomènes étranges et inexpliqués dans le désert algérien, dont Tayeb a été témoin, tout comme la journaliste baroudeuse Françoise Halfort.
Une corne d’abondance
Tenter de résumer plus avant ce récit serait vain, tant il est foisonnant. Fabien Vehlmann, le scénariste de Seuls, de Spirou et Fantasio, des Cinq conteurs de Bagdad (et de cent autres choses brillantes), a longtemps porté l'idée et s'est adjoint le concours de son ami Gwen de Bonneval (Gilgamesh avec Duchazeau, Messire Guillaume, avec Bonhomme, Bonneval Pacha avec Micol) pour l'accoucher. Hervé Tanquerelle s'est quant à lui vu confier le dessin, avec Fred Blanchard en renfort spécialisé sur le design.
Les quatre hommes ont tracé un voyage ébouriffant de 720 pages, clôturé cet automne par un troisième tome toujours de très haut vol. Le Dernier Atlas est une corne d'abondance. L'histoire relève du genre de l'uchronie, mais aborde aussi les rivages de la science-fiction aux accents de prophéties écologiques, du polar pur et dur et de la dystopie politique - le XXIe siècle dans lequel évoluent les protagonistes n'est pas plus apaisé ni serein que le nôtre. C'est aussi pour Vehlmann une façon d'évoquer ce traumatisme qu'a été la guerre d'Algérie, d'interroger la mission "civilisatrice" de la colonisation, de témoigner de la douleur muette des premiers déracinés, exposés au racisme ordinaire.
Le mélange de tant d'ingrédients pourrait paraître indigeste, mais chaque élément est à sa place et contribue à former l'épatant ensemble. Complexe et dense, l'intrigue à tiroirs ne perd jamais en lisibilité, ni en intensité. Riches en scènes de bravoure graphique et en rebondissements, les trois volets du Dernier Atlas forment une bande dessinée trépidante "à très grand spectacle".
Pas de bonne histoire sans bons personnages. Si l’insaisissable Ismaël Tayeb est la figure autour de laquelle est axé le récit, on trouve aussi au casting une bonne vingtaine de "seconds rôles" - des petites frappes et des tueurs professionnels, une ancienne escort girl, des flics gauchos et fachos, des militaires, des scientifiques, des zadistes, des enfants mutants, des Français, des Indiens, des Arabes, des Albanais, un Russe, des salauds et des justes… Toutes et tous sont dotés par Tanquerelle d’une forte personnalité graphique et par les scénaristes d’une vraie profondeur psychologique, ce qui permet de conserver à l’histoire toute sa consistance quand elle entre dans la sphère de l’intime.
Une bande dessinée populaire très haut de gamme.
Goldorak, vecteur d’émotions fortes
Goldorak go (again) ! Diffusé à la télévision dès 1978 dans l'émission RécréA2, l'anime de 74 épisodes a durablement marqué les esprits des enfants qui l'ont vu. Parmi ceux-ci, le scénariste Xavier Dorison (Undertaker, Long John Silver, W.E.ST.,…) qui brûlait du désir de proposer une suite en bande dessinée aux aventures du robot guerrier. Il a embarqué avec lui Denis Bajram (Universal War One et Universal War Two) et obtenu du créateur de Goldorak, le Japonais Gô Nagai, le droit d'utiliser le personnage pour un album unique, après lui avoir exposé son projet. Bajram, coscénariste, intègre aussi l'équipe des dessinateurs composée de Brice Cossu, Yoann Guillo et Alexis Sentenac.

La série de dessins animés s’était terminée par la victoire de Goldorak sur les forces de Vega et la mort du grand Stratéguerre, de Minos et d'Hydargos. Sa mission accomplie, la patrouille des Aigles s’est dispersée. Dix ans se sont écoulés sur terre depuis qu'Actarus et sa sœur Phenicia ont regagné leur planète, Euphor, pour y rebâtir une civilisation. Alcor et Venusia ont poursuivi le cours de leur vie. Lui est devenu richissime patron d’une boîte techno, qui trompe son ennui dans le saké et les conquêtes; elle a quitté le ranch familial pour devenir médecin et erre sur la carte du tendre seule, l'âme en peine.
La menace venue de l’espace que l'on croyait éteinte n'était qu'écartée. Le confirme l’arrivée d’un Golgoth, l'Hydragon, qui entame le saccage "godzillesque" de Tokyo. L’ultimatum est posé : les habitants du Japon ont sept jours pour abandonner l’archipel à l’envahisseur, ou faire face à la destruction totale. Le dernier espoir de l’humanité est Goldorak, aussi introuvable que son pilote, Actarus.
Le réveil des émotions d'enfants.
Des héros de la patrouille des Aigles au Professeur Procyon en passant par Rigel, Banta et Mizar, personne n'a été oublié par les scénaristes. Il faut cependant prendre son mal en patience jusqu'au tiers de l'album pour que "le formidable robot des temps nouveaux" ne fasse sa réapparition sur une double page, ravivant chez l'auteur de ces lignes des émotions vieilles de plusieurs décennies - même si l'album peut plaire à un large public, son coeur de cible est clairement la génération des quadra et quinquagénaires.
Le dessin est d'ailleurs à la hauteur des attentes, notamment dans les spectaculaires séquences de combat entre Goldorak et l'Hydre Golgoth. Rayon baston, le cahier des charges est rempli, à coup d'astéro-haches, cornofulgur, rétrolaser et fulguro-poings.
Le scénario de Dorison et Bajram pousse cependant plus loin que le simple divertissement, en s'écarte du manichéisme du dessin animé et en proposant une réflexion sur l'absurdité du cycle de la violence et de la vengeance et, de façon surprenante, mais pertinente, sur la migration. Le one-shot à cinq têtes et dix mains parvient à rester fidèle au mythe tout en parvenant à imprimer un ton personnel.
Goldorak est toujours grand.
- ★ ★ ★ ★ Vehlmann, de Bonneval, Tanquerelle, Blanchard | Le Dernier Atlas, tome 3 | Science-fiction, uchronie, polar | Dupuis | 256 pp. en couleurs, 26 €
- ★ ★ ★ Dorison, Bajram, Cossu, Sentenac, Guillo, d'après l'œuvre de Gô Nagai | Goldorak | manga | Kana, 170 pp., 25 €