"La montagne, c’est la liberté"
À travers une histoire d’amour, Jean-Christophe Rufin dévoile sa passion pour la montagne.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dbef88af-a777-4e76-9966-40b1fd6e9729.png)
Publié le 08-12-2021 à 08h47 - Mis à jour le 29-06-2022 à 16h58
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/Z672COB6KRAYTDSVBZ73AKB3K4.jpg)
Jean-Christophe Rufin a déjà eu mille vies et publié une œuvre très variée qui l’a amené jusqu’à l’Académie française. Parmi ses nombreuses passions qui le font vibrer, il y a la montagne. Mais, sans doute intimidé par les modèles d’écrivains des cimes lus dans sa jeunesse (Frison-Roche, Gaston Rébuffat, Ramuz), il n’avait encore jamais abordé son amour des sommets dans ses romans.
Il explique en préambule des Flammes de Pierre, qu'il est lui-même alpiniste averti et que c'est une randonnée sur l'aiguille de la République, avec l'écrivain voyageur Sylvain Tesson, qui l'a convaincu de s'y risquer.
Son roman est d’abord une histoire d’amour entre Rémy et Laure. Le premier a grandi à la montagne. Si son frère est guide pour les hauts sommets, lui est plutôt champion d’escalade et s’est installé dans une routine de guide pour riches touristes et pour des femmes qu’il entraîne dans son lit après les expéditions.
Avec Laure, tout se passe autrement. Elle vit à Paris dans un autre monde que celui de Rémy, celui de la finance. On devine d’emblée que leur romance sera parsemée d’attirances, de crises et de réconciliations. On lit avec plaisir leur histoire avec l’envie d’en connaître la suite, comme on regarderait un feuilleton télévisé, mais cela reste une intrigue assez facile.
L’émoi sacré
Tout l’intérêt du roman est le troisième personnage qui vient s’inscrire dans le couple entre Rémy et Laure : la montagne. C’est elle qui scelle leurs rencontres et leurs dissensions.
Jean-Christophe Rufin évoque longuement et souvent brillamment le vertige des hauteurs comme la sensualité de se coltiner avec une paroi rocheuse, le face-à-face avec une nature grandiose qui nous donne le sentiment puissant de liberté mais aussi qui risque de nous submerger si l’orage ou l’avalanche se déclenche.
On retrouve le souvenir des exploits de grands guides mythiques comme Walter Bonatti ou Lionel Terray. Rufin évoque l'"émoi sacré" que Rémy ressent quand il observe son frère, "avec la gravité de ses gestes, la souveraineté de ses décisions, lorsqu'il retraçait dans la paroi aux mille aspérités où se ferait la progression, le mystère de ses intuitions, au moment où scrutant le ciel, il était capable d'en prévoir le calme ou la colère."
"Tu vois ce que peut faire la montagne ? Les petits drames de la vie, ça les casse, ça les réduit en poudre. Il n’y a plus que l’essentiel. Tu es vivant."
Liberté et danger
Après un exploit dans les Drus, Walter Bonatti avait expliqué : "Je sais que j ' ai franchi la barri ère qui me séparait de mon â me."
La montagne racontée par Rufin c'est la liberté comme le danger, c'est aussi un horizon qui protège des remous du monde. "La paroi rocheuse est un ami qui ne vous trahit pas", confie-t-il.
Frison-Roche écrivait déjà : " Le vertige, les pieds gelés, les risques, ça a certainement été créé pour vous donner du goût à la vie. C'est seulement lorsqu'on est mutilé ou appauvri physiquement qu'on se rend compte de la valeur de l'existence."
Erri De Luca, un autre écrivain passionné d'escalade, écrivait : La montagne, c'est "tourner le dos à tout, prendre de la distance, rejeter le monde entier derrière soi, un effort béni par l ' inutile, c' est la beauté de la surface terrestre qui touche sa limite vers le haut, vers l 'air. "
Un roman pour ceux qui veulent mieux comprendre cet amour-là.
- ★ ★ ★ Jean-Christophe Rufin | Les Flammes de Pierre | Roman | Gallimard | 344 pp., 21 €, version numérique 15 €
EXTRAIT
"Des plaques immenses se détachent et se jettent dans le vide ; des masses sculptées, impériales dans leur beauté verticale, comme lasses de se tenir en équilibre, lâchent prise, tombent, éclatent en petits blocs et entament le parcours désespéré qui les conduira un jour à se mêler au sable des plages."