Platon-Aristote, la controverse féconde

Deux citations en montrent la pertinence. Le professeur à la Sorbonne Olivier Bas regrettait dans L'Écho : "On ne réfléchit plus le monde, on réagit au spectacle du monde." Mais comment alors penser le monde ? Archimède au 3e siècle avant JC en apportait déjà le moyen : "Donnez-moi un point d ' appui et je soulè verai le m onde ."

C'est ce que fait Luc de Brabandere (avec l'aide d'Anne Mikolajczak) en s'appuyant dans son essai sur les deux géants de la philosophie grecque : Platon et Aristote. Au départ de leurs deux pensées, de leurs antagonismes comme de leurs convergences, il nous entraîne alors dans une relecture de toute l'histoire de la philosophie occidentale jusqu'à la nécessité de "penser aujourd'hui". Jusqu'à réfléchir à ce que signifie en 2021, connaître, ignorer, cohabiter avec l'univers digital.

Bien sûr, Platon (428-348 avant JC) et Aristote (384-322 avant JC), quasi contemporains, se sont trompés sur bien des questions scientifiques. Ils croyaient que le Soleil tournait autour de la Terre et ne savaient pas que l'homme était le fruit d'une longue évolution du vivant. Mais peu importe, souligne Luc de Brabandere, "apprendre avec eux, c'est retrouver la démarche rigoureuse avec laquelle ils ont voulu élaborer leurs idées."

Raphaël

La controverse philosophique ou scientifique, a toujours été un formidable stimulant intellectuel. De celle qui opposa Voltaire à Rousseau à celles entre Russel et Wittgenstein ou entre Einstein et Bohr. Mais rien n’est supérieur à la querelle des idées entre Platon et Aristote.

Entre 1508 et 1512, dans une fresque célèbre du Vatican, le peintre Raphaël représentait L'École d'Athènes avec, au centre, le duo. Tout est dit par leurs gestes. Platon dresse la main et pointe du doigt le ciel, tandis qu'Aristote désigne le sol. Le message de Raphaël est bien : "On peut comprendre la nature grâce à l'incontournable Aristote, condition pour aborder alors les grands mystères de la Vie avec l'aide irremplaçable de Platon."

Ce dualisme est expliqué et mis en lumière par des dessins et cartes (de Vincent Rif) qui en disent long : Platon ce sont les Idées, Aristote, la Substance ; Platon "veut refaire le monde", Aristote "veut le classer" ; Platon part de la Raison, Aristote part de l'Expérience.

S’il y a bien sûr aussi des convergences, cet antagonisme a nourri la pensée pendant plus de deux mille ans. Dans l’Église catholique, Saint Augustin fut néo-platonicien alors que Saint Thomas d’Aquin était néo-aristotélicien. Dans leur sillage, les Dominicains sont aristotéliciens, et les Franciscains, plus mystiques, sont platoniciens.

Spinoza se rapproche de Platon et Descartes d’Aristote. En art, Raphaël serait dans l’équipe de Platon et Léonard de Vinci dans celle d’Aristote.

Les trois pôles

Bien sûr, ce livre qui se lit très aisément (il est sous-titré "une initiation joyeuse à la controverse philosophique") montre aussi les nuances, décortique les concepts, mais il garde l'essentiel : s'inspirer de ces deux géants nous apprend "à penser tout seul". Avec ce corollaire à ne jamais oublier : "La Philosophie c'est aussi cela : la réflexion progresse, et le doute également !

Aider à penser est aussi l'objectif d'un second livre que publie aussi Luc de Brabandere, en anglais cette fois, et avec l'aide de Lina Benmehrez sur l'"Art de penser dans un monde digital". Avec un titre qui indique bien les trois faces de la pensée nécessaire : "Be logical, Be creative, Be critical".

Comme dans le livre Platon vs Aristote, ce livre qui résume des réflexions de l'auteur, grouille d'exemples éclairants, d'anecdotes, de tests. Un livre rédigé en marge du cours que Luc de Brabandere donnera à la célèbre université de Zurich, l'ETH, celle où Einstein étudia et qui attribua vingt prix Nobel.

• ★ ★ ★ Luc de Brabandere avec Anne Mikolajczak | Platon vs Aristote | essai | Éditions Sciences humaines | 147 pp., 22 €

EXTRAIT

"Aristote refuse de suivre Platon dans un monde séparé du nôtre où les Idées sont supposées exister par elles-mêmes, un monde qui ne correspond selon lui à rien, qui n’est qu’une fiction inutile faite seulement de mots."