"Dès que j’entends du Chopin, je pleure"
Olivier Bellamy nous promène en toute subjectivité dans la vie et l’œuvre de Chopin.
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Publié le 14-12-2021 à 17h47 - Mis à jour le 15-12-2021 à 07h43
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"Chopin fait un peu peur car il est tellement parfait mais je l'aime d'amour depuis toujours. Dès que j'entends sa musique, elle me fait pleurer. Je ressens tellement toutes ses souffrances. Je me sens tellement proche de lui. Comme pour certains écrivains qui le font avec des mots, on peut aimer Chopin d'amour car il dit avec des notes ce qu'on ressent au plus profond de soi."
Olivier Bellamy, homme de radio et de télévision, passeur de musique, a écrit un Dictionnaire amoureux de Chopin dans lequel il nous promène dans sa vie, son œuvre et l'interprétation de celle-ci.
La mélancolie générée par Chopin ? "Elle est là comme chez tous les grands et on peut avec eux sacrifier au plaisir de la délectation morose. Comme en écoutant Schubert ou en allant voir certains spectacles au théâtre, on peut pleurer sans être inquiété. La musique de Chopin est tellement profonde sans jamais être hégémonique. Elle a la puissance mais sans la volonté de puissance. Le contraire de Wagner dont Woody Allen disait : 'Quand j'écoute trop Wagner j'ai envie d'envahir la Pologne.' Chopin comme Martha Argerich qui le joue si bien, est à la fois homme et femme, car ce sont des divinités. Chopin concilie une langue très classique avec une imagination romantique qui peut aller jusqu 'au d é lire. "
Doigts de violoniste
Vous dites qu’il était génial car il avait des doigts de violoniste et que ses professeurs étaient violonistes ?
"Chopin était hors normes comme Van Gogh était gaucher, ce qui leur a permis d'inventer. Chopin, même s'il était classique, était en dehors des académismes. Lis z t v o u lait embrasser le monde entier, tout décrire comme le voulait Victor Hu g o. C h opin, lui, voit une cathédrale dans une goutte d'eau."
Le sommet de sa musique, ce sont ses Nocturnes ?
"Oui, c'est un chant. Mais il y a aussi les Ballades et les Mazurkas qui sont ce qu'il y a de plus poétique chez lui. Elles n'ont l'air de rien, mais à travers de courtes scènes paysannes, il y a tout un paradis perdu à trouver, celui de l'enfance de Chopin. C'es t inou ï de se s ouven ir que la pr emière fois qu'enfant il entendit de la musique, il s'était mis à pleurer. Et cela se reproduisait chaque fois que sa mère jouait."
Vous n’êtes pas tendre pour George Sand ?
"Je lui reproche sa malhonnêteté intellectuelle, elle triche avec la vérité, alors que Chopin, lui, était intègre. Chez lui, chaque mot voulait dire quelque chose alors qu’elle se grise de formules au bout desquelles l’insincérité pointe. Pour un faux prétexte, parce qu’elle en avait marre de jouer l’infirmière et la boniche, elle le chasse alors qu’elle avait promis de rester toujours à ses côtés."
Le cœur de Chopin
Mort en 1849, à 39 ans, sans doute de tuberculose, son corps est enterré au Père-Lachaise à Paris, mais son cœur est en Pologne.
"Chopin est resté jusqu'au bout fidèle à son pays, toujours proche des idéaux de sa jeunesse. Après l'autopsie de son corps à Paris, sa sœur a emporté son cœur qu'on peut retrouver dans un pilier de la cathédrale Sainte-Croix à Varsovie, conservé dans du cognac."
Pourquoi n’a-t-il composé que pour le piano ? Un cas très rare dans la musique.
"C’était son mode d’expression. Mais à travers le piano, il a composé des poèmes comme des opéras. Eugène Delacroix, comme tous ceux qui l’approchaient, l’adorait et il disait que ‘Chopin est le plus pur artiste que j’ai rencontré dans ma vie’. Notez que Delacroix ne disait pas ‘musicien’ mais bien ‘artiste’, car l’art de Chopin transcendait toutes les disciplines."
Sa musique paraît simple. Quel en est pour vous le plus grand interprète ?
"On peut appliquer à Chopin la phrase d’Arthur Schnabel sur Mozart : Chopin est trop facile pour les enfants et trop difficile pour les adultes. Si cela paraît simple, c’est toujours d’une extrême délicatesse, avec un tel équilibre sonore. Chopin montre que la simplicité est le dernier sceau de l’art, l’aboutissement de tout. Parmi les plus grands interprètes, je citerais Alfred Cortot, Martha Argerich et Nelson Freire qui vient de mourir."
- Olivier Bellamy | Dictionnaire amoureux de Chopin | essai | Plon | 530 pp., 25 €, version numérique 18 €
EXTRAIT
"A propos des Nocturnes: « Dans la pâleur du soir, près de l’âtre, Shakespeare, Baudelaire et Edgar Poe sont des compagnons de voyage vers la lande déserte ou le fond d’un lac gelé. Chopin est l’un d’eux. (…) Ce que Bellini a imaginé pour la voix, Chopin l’élève au clavier. En allant bien plus loin, car la piano offre plus de liberté que la tradition de l’opéra italien."