Victime d'inceste, Florence Hirigoyen a mis en scène des poupées pour libérer sa mémoire
Victime d’inceste répété depuis l’âge de quatre ans, Florence Hirigoyen raconte son enfance fracassée à l’aide de figurines et de décors miniatures. Saisissant.
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Publié le 31-05-2022 à 16h33 - Mis à jour le 31-05-2022 à 16h38
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Lorsque sa fille aînée eut quatre ans, un premier sursaut eut lieu, faisant tout remonter : Florence Hirigoyen n’a pu supporter de voir son enfant sur les genoux de son père. Un autre pas fut franchi lorsqu’au hasard d’une brocante, elle trouve une poupée allemande Caco des années 1950 ressemblant étrangement à son père. C’est le début d’une collection qui, bientôt, lui permettra de raconter son enfance fracassée.
Après avoir reconstitué les décors, l'auteure a mis en scène les épisodes marquants de son histoire. Sous forme de roman-photo, les époques (souvenirs en noir et blanc, événements de l'âge adulte en couleur) alternent. Hier l'inceste répété, une solitude abyssale, la peur omniprésente, la violence langagière, une mère cassante jamais maternelle, les menaces ("Tais-toi ou ton père se tuera"), les humiliations jusque dans l'enceinte de l'école, une vie familiale en vase clos : la sobriété des cases, à laquelle s'ajoute la concision du texte, décuple l'effet de saisissement. Quand l'âge adulte est un chapelet de grains noirs qui la ramènent au passé, la peur étant toujours là : les souvenirs tenaces, les cauchemars qui se répètent, l'actualité entendue à la radio, la difficulté de nouer des relations avec les hommes, ce que cache la joie de sentir bon après une douche, les poupées retrouvées. Un jour, un début de chemin s'esquisse, sous les auspices de Virginia Woolf, Nina Simone et Maya Angelou, mais aussi par l'ouverture à l'art.
Accueillir celle qu'elle fut
Aux enfants traumatisés et victimes de violences, l'on propose souvent de s'exprimer par le dessin ou de rejouer certaines scènes avec des figurines. Florence Hirigoyen ne fait pas autre chose, redonnant ainsi vie à la petite fille et à l'adolescente qu'elle a été, bravant la culpabilité ressentie par l'adulte. À cinquante-deux ans, elle a trouvé le moyen d'accueillir celle qu'elle fut, ses douleurs, son innocence, son mutisme. "Quand passeras-tu enfin à autre chose ?", lui assène cruellement un jour sa mère, qui savait mais ne l'a en rien protégée. Son corps avait gardé la mémoire des douleurs, son esprit était la proie d'images terrifiantes. Ce travail artistique libérateur constitue sans doute une étape décisive dans le parcours de reconstruction de celle qui, aujourd'hui, travaille auprès d'enfants en tant qu'orthophoniste. Aider à mieux dire est son métier.
- ★ ★ ★ Florence Hirigoyen | La maison de poupée | témoignage | Les Arènes | 216 pp., 27 €