Chantage à la sextape à des fins politiques
Sexe, violence et corruption, Javier Cercas décortique le mouvement indépendantiste catalan.
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Publié le 01-06-2022 à 09h21 - Mis à jour le 01-06-2022 à 10h17
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Le grand écrivain espagnol Javier Cercas nous offre le second volume de sa trilogie policière et très politique, Terra Alta, un an après un formidable premier tome.
On y a retrouvé le policier Melchor Marin, fils d’une prostituée de Barcelone et d’un père inconnu. Adolescent, il tombe dans la drogue, le deal, la violence et la prison. Mais quand son avocat, envoyé par sa mère, vient lui dire qu’on a retrouvé celle-ci sauvagement assassinée sur un terrain vague, il décide de changer de vie, de devenir policier et de venger sa mère.
De retour à Barcelone
Le voilà dans Indépendance de retour à Barcelone après avoir travaillé dans la Terra Alta, province aride et retirée au sud de la Catalogne (cfr le précédent roman de Cercas). Il rêve toujours de quitter ce travail et de devenir bibliothécaire mais se retrouve dans les Mossos d ' esquadra (les agents) d'un commissariat de Barcelone pour résoudre une affaire très gênante.
Après un rappel de l'épisode précédent, Javier Cercas nous amène en 2025. La maire de la ville, Virginia Oliver, dirige un parti ultra-conservateur et xénophobe alors que jadis elle avait des idées généreuses. La voilà victime d'un chantage à la " sextape ". Dans sa jeunesse, elle menait une vie très libre et ses ébats ont été alors filmés à son insu. Des inconnus réclament 300 000 euros et puis exigent sa démission sinon cette vidéo ravageuse sera diffusée.
Une caste dominante
Le roman plonge dans l'histoire toute récente de la Catalogne et sa tentative de sécession de 2017 qu'on a appelée le " Proc è s". Le romancier montre un volet très noir de la Catalogne, avec un trio d'hommes, Casas, Vidal et Rosell, issus des familles les plus puissantes de Barcelone, sortis tous trois de l'Esade, la grande école de commerce. Ce sont des privilégiés qui ne croient qu'au pouvoir de l'argent, qui sont protégés par de vrais clans de la haute bourgeoisie et qui font tout pour devenir les maîtres de la région.
Ils règnent désormais en maîtres sur la ville. Casas a épousé la future maire mais en est séparé tout en travaillant à se côtés. Vidal est devenu son premier adjoint à la mairie et organise une vraie milice parallèle à la police officielle, les Vidal boys.
Ce sont eux, qui, vingt ans plus tôt, organisaient des fins de soirée avec des viols collectifs de filles au préalable droguées par eux et filmées par un acolyte caché derrière un mur. La maire fut l’une d’elles, mais elle était consentante.
Mise en abîme
À travers ces trois personnages, Javier Cercas dresse un portrait sans concession du mouvement indépendantiste vu par lui, comme corrompu, arrogant, cynique, affairiste et populiste. Il parle à un moment de "cleptocratie clientéliste".
Les nombreux dialogues sont passionnants et polémiques. L'intrigue est bien ficelée jusqu'au bout avec, en plus, un brin d'humour puisque le policier Melchor rencontre des personnages qui lui demandent s'il a lu Terra Alta, le précédent roman de la trilogie d'un "certain Javier Cercas". Une savoureuse mise en abîme.
- ★ ★ ★ Javier Cercas | Indépendance | indépendance | traduit de l'espagnol par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon | Actes Sud | 352 pp., 23 €, version numérique 17 €
EXTRAIT
« Ecoute. Virginia n’est pas une politicienne. Elle n’a pas l’étoffe d’une politicienne. Elle ne l’a jamais eue. Au fond, elle s’est lancée dans la politique parce qu’elle s’est mariée avec moi, parce que je l’ai convaincue de se lancer, parce que j’y voyais mon intérêt; sinon elle aurait fait autre chose, elle aurait continué de casser les pieds avec les réfugiés, ce genre de choses. C’est ça la vérité. »