Boro, reporter-photographe, fait son retour en pleine guerre froide
Dan Franck signe, cette fois seul, le neuvième tome de cette série à succès.
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Publié le 02-06-2022 à 13h01 - Mis à jour le 02-06-2022 à 13h21
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Quand j'ai placé mon personnage Boro [dans la période de la guerre froide], je pensais raconter une histoire qui n'est plus". Dan Franck soupire, lui qui avait décidé bien avant le début de la guerre en Ukraine de rappeler au front son fameux reporter-photographe pour lui faire raconter cette fois les horreurs de l'invasion soviétique en Hongrie, l'Europe bégayante des années 1960, l'affrontement entre le bloc de l'Ouest et celui de l'Est, et surtout le drame de la construction du mur de Berlin, ce moment "fondamental" de l'histoire.
Le romancier a mis du temps pour continuer seul Les aventures de Boro, reporter-photographe à travers le XXe siècle, après la mort en 2015 de son acolyte Jean Vautrin, avec qui il avait fait un "serment d'alcooliques" il y a trente-cinq ans pour créer un héros des temps d'avant, humaniste et engagé du côté des "battus de l'Histoire". Ainsi était né Blémia Borowicz - Boro pour la signature -, armé de sa canne et de son Leica légendaires. Plus d'une décennie après la sortie en 2009 de la Dame de Jérusalem, qui plaçait le reporter-phorographe hongrois à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et aux aurores de l'État d'Israël, le neuvième opus de cette série à succès, Boro, Est-Ouest, vient de paraître en librairie. Au moment donc où l'invasion russe de l'Ukraine fait à nouveau souffler le vent de la guerre froide sur le monde.
"Shakespeare disait que le passé est un prologue. C'est vraiment ça. Quand on lit Boro, Est-Ouest, on comprend que le régime russe est un régime impérialiste, d'une brutalité inouïe, c'est une dictature et ça l'était déjà en 1956", observe Dan Franck, sans cacher son effroi face à la cruauté de la guerre russe en Ukraine. Ni son admiration pour la résilience de ce pays. En ce sens, "Kiev est le même symbole que Berlin à l'époque, un symbole de résistance, de courage", estime-t-il, convaincu que Vladimir Poutine "a virtuellement perdu". Ce qui ne dit rien de l'issue de cette guerre. "On peut se demander comment ça va se terminer et c'est peut-être la seule interrogation à laquelle l'histoire n'a pas de réponse."
"Jean voulait qu’on tue Boro, moi non"
Peut-être qu'un jour Boro ou plutôt Jolan, ce jeune compatriote hongrois qu'il prend sous son aile dans ce neuvième tome, témoignera de l'invasion russe de l'Ukraine. Ce n'est pas pour rien que ce nouveau personnage fait son apparition, comme pour signaler la possible relève du reporter-photographe qui commence à grisonner après trente années d'aventures. Dan Franck souhaite voir un jour d'autres auteurs continuer cette série et perpétuer ainsi la tradition des romans-feuilletons du XIXe siècle. Voilà l'un des rares désaccords que celui qui a obtenu le prix Renaudot en 1991 pour La séparation a eus avec son défunt complice, prix Goncourt en 1989 : "Jean voulait qu'on tue Boro, moi non."
Boro a vécu. Et reprend ses aventures au printemps 1960. Il part en Argentine sur les traces d’Adolf Eichmann, bourreau nazi en fuite, dont il est chargé de prendre en photo l’oreille pour en prouver l’identité. À Paris, il accueille les porteurs de valises, façon de soutenir le FLN algérien, de raconter la terrible guerre d’Algérie du point de vue de la résistance, de s’insurger encore et toujours sur les injustices du monde.
L'époque est aussi celle de la Baie des cochons, grand fiasco de la politique étrangère américaine. Mais surtout celle de l'érection du mur de la honte, en l'espace d'une nuit, du 12 au 13 août 1961. Boro s'y rend, là aussi, pour sauver les premiers fugitifs. "C'est lourd à écrire. C'est une période difficile", confie M. Franck. À tel point qu'elle se prête peut-être mieux à sa plume plus sèche et concise. "J'écris comme le journaliste que j'aurais voulu être, alors que Jean Vautrin avait une écriture extraordinairement libérée, généreuse, descriptive", se souvient-il, le cœur lourd. Le romancier n'a pas moins écrit avec son allié "sur son épaule". "Au bout de trente ans, Franck &Vautrin (ce troisième auteur "inventé" par les deux acolytes pour raconter les épopées de Boro, NdlR) est capable de faire et du Franck et du Vautrin". Et surtout de rester fidèle à la vision du monde humaniste qui a uni les deux écrivains pendant toutes ces décennies.
Un pari à nouveau réussi
Boro, Est-Ouest c'est encore ce pari réussi de faire mieux, plus vertueux que "les pavés peu comestibles" qu'on vend comme livres de plage. "Avec les mêmes règles que s'imposaient Balzac ou Dumas quand ils écrivaient des romans populaires de haute qualité, publiés par la presse." Il y a donc ce rapport engagé à l'histoire et la rigueur de la documentation, puisée dans des films et des articles de presse de l'époque. Sa fierté est de n'avoir jamais été pris en flagrant délit d'erreur, un véritable exploit vu le détail avec lequel l'histoire est contée. Il y a aussi la volonté de tenir le lecteur en haleine, avec "un ton créatif, ludique, malgré les drames, une profondeur travaillée des personnages et un côté palpitant" qui découle de cette manie à terminer chaque chapitre par un cliffhanger, ou par ce que Théophile Gautier appelait des traquenards d'intérêt.
Le risque est forcément qu’à peine ce neuvième tome posé, le lecteur veuille déjà ouvrir le suivant. Pour continuer Les aventures de Boro, "il faut que le plaisir m’en vienne. Mais ça viendra, puisque j’ai peut-être envie d’ écrire sur les années 1970, qui ont été fondatrices de la société actuelle", glisse Dan Franck, qui termine d’ailleurs son livre par un appétissant "(A suivre)".
- ★ ★ ★ Franck & Vautrin | Boro, Est-Ouest | Roman | 448 pp., 22 €, version numérique 16 €