La dépression comme vous ne l’avez jamais lue
Meg Mason a fait un tabac avec l’édition originale d’un premier roman aussi spirituel qu’authentique dans son regard.
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- Publié le 07-06-2022 à 17h42
- Mis à jour le 07-06-2022 à 20h51
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Que d'émotions ! En refermant Évidemment Martha, on est ébahi par la traversée que vient de nous proposer Meg Mason dans ce qui est son premier roman. Car il en fallait, du culot comme de l'aplomb, pour traiter avec autant d'humour, de finesse, de nuances et d'honnêteté le thème de la dépression. On comprend dès lors sans peine le succès que Sorrow and bliss a rencontré dans le monde anglo-saxon avant de conquérir une trentaine d'éditeurs d'autres langues. Une adaptation au cinéma est également en cours.
Lorsque le roman s’ouvre, Martha vient d’être quittée par son mari, Patrick, qui - c’est ce qu’elle disait quand on le lui demandait - la connaît depuis toujours ou presque. Depuis la prime adolescence en réalité.
Cet hiver de 2018, Martha entame la quarantaine sans avoir jamais eu de situation professionnelle véritablement stable. Elle rédige des chroniques culinaires humoristiques pour le magazine d’une chaîne de supermarchés qui, une fois passées dans les mains de son rédacteur en chef, n’ont plus rien d’humoristique. Son histoire va nous être retracée, depuis l’enfance, sans oublier ce jour de Noël où son cousin invita inopinément Patrick.
C'est au moment de passer l'équivalent du bac, alors que Martha a dix-sept ans, qu'une petite bombe éclate dans son cerveau et la change à jamais. Après un premier épisode de pensées suicidaires, un médecin lui prescrit des antidépresseurs. Mais prendre des pilules qui la rendent anormalement euphorique n'est pas de son goût… Ses proches la trouvent trop sensible - Patrick, qui la connaît pourtant si bien, ses parents ("un poète en mal d'inspiration et une sculptrice n'ayant pas encore acquis une importance mineure") et sa sœur quasi jumelle, de quinze mois son aînée.
Deux histoires d’amour
Si elle parle de dépression, et plus spécifiquement d’une maladie qu’elle ne nomme pas (simplement symbolisée par deux longs tirets) et dont, comme elle le spécifie dans une note finale, les symptômes décrits ne correspondent à aucune maladie mentale réelle, Meg Mason traite avant tout d’amour. En plus de celui, indéfectible, que lui portent ses parents et sa tante, Martha vit deux fortes histoires. Avec sa sœur d’abord, en qui elle trouve appui, écoute, bienveillance même si celle-ci, mère de trois enfants en cinq ans seulement, soit constamment débordée et épuisée. Avec Patrick ensuite, qui, malgré qu’il soit un orphelin de mère quasi abandonné par son père, bien qu’il lui apparaisse parfois bien terne, ennuyeux et gentil, la comprend mieux qu’elle ne l’imagine.
On n’en dira guère plus sur l’histoire elle-même, pour ne pas dévoiler les épisodes marquants, ce qui diminuerait le plaisir de lecture. Mais l’on peut signaler que Meg Mason est impressionnante dans sa description d’une famille, de la solidité des liens entre ses membres (malgré quelques sérieux handicaps), des mécanismes de solidarité qui s’y déploient.
Changer de regard
"À moins que je vous spécifie le contraire, de l'âge de vingt ans jusqu'à près de quarante ans, j'ai connu des phases de dépression légère, modérée ou sévère pouvant durer une semaine, quinze jours, six mois, un an." Avec Martha, on oscille d'une crise à l'autre, et de diverses tentatives pour évoluer au besoin d'être simplement soi-même. Pour ceux qui l'entourent plus que pour elle-même, la jeune femme est résolue à s'amender. Ce qui ne pourra se faire sans qu'elle dépasse son statut de malade pour essayer de comprendre en profondeur ce que vivre à ses côtés implique. Mais ce qui importe plus qu'une guérison sans doute illusoire, c'est de changer de regard sur son propre mal - qui, tant qu'il n'est pas nommé, permet d'échapper à une réalité qui enferme.
Martha trouve refuge chez sa mère qui, bien qu’elle ne se soit jamais montrée maternelle, fait montre de ressources insoupçonnées. Alors qu’elle sonde avec subtilité la maternité comme la sororité, la prouesse de la journaliste Meg Mason est de suivre au plus près les méandres de la psyché de Martha, au cœur des malaises et l’instabilité déroutante comme des élans de changement. Et comme le tout est réalisé avec un étonnant alliage d’empathie et d’humour, cela donne un texte impossible à lâcher !
- ★ ★ ★ Meg Mason | Évidemment Martha | roman | traduit de l'anglais par Anne Le Bot | Le Cherche Midi, 416 pp., 22 €, version numérique 15 €
EXTRAIT
"Elle ne veut pas qu'on la laisse. La laisser, c'est devenu un thème récurrent. Pour une fois, elle voudrait qu'on la garde. C'est pourquoi, quand ils arrivent au café et qu'il met très, très longtemps à étudier le menu, elle n'est pas agacée. À force, ça finira par l'agacer tellement qu'un jour, elle lâchera "Oh bordel, il va prendre un steak" et lui arrachera le menu des mains pour le rendre au serveur qui aura l'air embarrassé pour eux car il a dit en s'asseyant que c'était leur anniversaire de mariage."