L’amour, de mère en fille
Lisa Balavoine raconte son enfance, aux côtés d’une mère qui a tout plaqué parce qu’elle rêvait d’amour fou. "Ceux qui s'aiment se laissent partir" : un roman aussi délicat que soutenu.
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- Publié le 08-06-2022 à 07h59
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"Tu es une jeune femme divorcée au début des années quatre-vingt. À vingt-cinq ans, tu as tout plaqué sur un coup de tête, ton mari, la maison à la campagne que vous veniez d'acheter, tes premiers rêves et tu es partie, emportant une gamine de presque quatre ans dans ta nouvelle vie." Cette gamine de quatre ans, c'est Lisa Balavoine, qui signe avec Ceux qui s'aiment se laissent partir son troisième roman après Éparse, où elle scrutait sa vie de divorcée, mère de trois enfants, et Un garçon c'est presque rien.
Dans ce nouveau récit, l'écrivaine se souvient de son enfance et de son adolescence - période fondatrice, où tout "se joue" - aux côtés d'une mère avec qui elle entretenait une relation aussi passionnelle que fusionnelle. Elle y questionne l'héritage des peines, de la mélancolie, des chagrins. Que lui a-t-on transmis, que va-t-elle reproduire ? On pense à Edouard Louis ( Qui a tué mon père , Combats et métamorphoses d'une femme ) - sans l'angle "politique" - et aussi à Constance Joly (Over the Rainbow) quand Lisa Balavoine (Amiens, 1974) braque, a posteriori et, ici, à hauteur d'enfant, le projecteur sur la vie de son parent, en employant d'abord le "tu" puis le "je".
Le chaud et le froid
Durant cette période où elle s'est sentie "le second adulte du foyer" (alors qu'elle a 10 ans, elle apprend qu'elle va avoir une petite sœur), elle observe une femme qui part à la dérive pour qui elle a, à un certain moment, "arrêté de compter les verres, les cigarettes, les absences". Une mère qui soufflait le chaud et le froid - la culpabilisant ("c'est de ta faute tout ça !") avant de se rétracter ("Je t'aime, tu es ma fille, je te donnerai ma vie s'il le faut").
Le beau titre de l'ouvrage le suggère (Ceux qui s'aiment se laissent partir) : à 18 ans, Lisa Balavoine annonce à sa mère qu'elle la "quitte". Celle-ci la menace : "Si tu pars, je vais mourir. […] Si tu pars, tu auras mon suicide sur la conscience". Elle ne mettra pas à exécution son chantage, mais Lisa, elle, "quitte sa mère pour devenir mère". Elle rêve d'un idéal (amour toujours) qui ne se réalisera pas. Sa mère, envahissante, commentera abruptement sa séparation. "Puisque tu veux une vie de merde, tu vas l'avoir."
Le roman est aussi une belle photographie d’une époque - les années 80, sa déco, ses musiques -, à laquelle Lisa Balavoine rend toute sa vivacité.
- ★ ★ ★ Lisa Balavoine | Ceux qui s'aiment se laissent partir | Roman | Gallimard, 151 pp., 16,50 €, version numérique 12 €
EXTRAIT
"Je me sens proche de toi, nous ne sommes qu'une même personne. Tu n'as que moi et je n'ai que toi. Je ne t'en veux jamais, même si je vois bien que tu n'es pas une mère comme les autres, que tu ne joues pas avec moi, que tu ne surveilles pas mes devoirs, que tu ne prépares pas de gâteau le dimanche, que tu ne me dis jamais d'aller au lit ou de me laver les dents. Peu importe. Tout de toi me fascine.
Je me souviens de ça, cette adoration."