Un irrépressible besoin de liberté
Gil Adamson signe une saga familiale aux accents de western qui est aussi un tableau de l’Ouest à l’aube du siècle dernier.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/aebe8766-11c0-4532-8620-bf668e6358ce.png)
Publié le 09-06-2022 à 14h30 - Mis à jour le 09-06-2022 à 15h16
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/4KE4YULAEJGKVB4IMT4KY5YFTE.jpg)
En 1917, près de vingt ans après ses forfaits, William Moreland est de retour dans les États du nord, à la frontière du Montana. Voleur habile et rusé surnommé le Coureur des crêtes, sorte de célébrité locale pour cette raison, l'homme ne se remet pas de la mort de son épouse, Mary Boulton - à laquelle Gil Adamson avait consacré un autre roman, La veuve (Bourgois, 2009). Moreland va pourtant reprendre du service dans le but de récolter un maximum d'argent, seul moyen selon lui de mettre son fils Jack à l'abri et de lui "procurer une vie meilleure, la chance de faire des études ou de créer sa propre entreprise, enfin, de faire à sa guise". Âgé de douze ans, ce dernier a réchappé de justesse à la mort grâce aux bons soins d'une religieuse qui, depuis, l'héberge chez elle. Pour Jack, qui a été élevé dans la forêt par des parents ermites, la ville a plus d'un attrait. Mais l'envie de fuir demeure trop forte : il étouffe dans le foyer de cette religieuse et supporte peu les moqueries des autres enfants qui traitent son père de voleur, de meurtrier, de dynamiteur fou.
"La religieuse ne parlait que du présent, d'elle et de lui ensemble, et jamais du passé." Personnage trouble, inflexible quoique assez bienveillante de prime abord, cette religieuse semble avoir d'étranges motivations, que la romancière ne nous permet de cerner qu'après un certain temps. L'emprise de cette femme seule sur Jack va croissant, d'autant qu'il se sent oppressé par le mensonge de jouer à ce fils qu'elle n'aura jamais - ce qu'il finit par ne plus supporter. Une nuit, il parvient à s'échapper, ne mesurant pas les conséquences de son acte.
Cadeau inestimable
Sans nouvelles de son père, Jack se considère comme un orphelin. De ses parents, il a appris à se méfier, à rester à l’écart, à cultiver sa singularité. Ils avaient toujours désiré demeurer loin de tout, ne ménageant pas leurs efforts pour brouiller les pistes concernant leur lieu de vie, tenu secret. C’est un cadeau inestimable qu’ils ont fait à Jack. Un parmi d’autres - en plus du goût des livres, d’un penchant pour la solitude, du sens de la débrouillardise, de la valeur de la droiture.

Nous n'en dirons guère plus pour préserver le plaisir de la lecture (jusqu'à un final intense), si ce n'est que, sous la plume de la romancière canadienne Gil Adamson (North York, 1961), pas de poursuites endiablées ni de suspense à proprement parler. Les moteurs du Fils de la veuve sont à chercher ailleurs : dans une ample saga familiale, dans une Amérique atteinte par les échos de la guerre, dans la plénitude de ces vastes décors peu à peu touchés par la révolution industrielle et la percée de quelque confort moderne, dans une vie en symbiose avec une nature majestueuse, dans de loyales amitiés, dans le lien indestructible entre un père et son fils, dans le souvenir chéri d'une mère qui était parfois en relation avec des forces que d'aucuns disent surnaturelles.
Influences
Avec ce roman initiatique porté par une écriture auguste et maîtrisée célébrant la liberté comme l'aventure, Gil Adamson comble les amateurs de grands espaces et de westerns. "Sans influence, il n'y aurait pas de littérature ; les livres en engendrent d'autres", écrit-elle dans ses remerciements. Et de citer ses sources littéraires d'inspiration, notamment La nuit du chasseur de Davis Grubb, Les aventures d'Huckleberry Finn de Mark Twain, L'île au trésor de Robert Louis Stevenson, Mattie ou Cent dollars pour un shérif de Charles Portis et L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford de Ron Hansen. Avec sa propre sensibilité et un habile talent de conteuse, elle s'inscrit à son tour dans cette grande famille des auteurs qui ont célébré le grand Ouest et l'irrépressible besoin de liberté.
- ★ ★ ★ Gil Adamson | Le fils de la veuve | roman | traduit de l'anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné | Bourgois | 415 pp., 22,90 €, version numérique 15 €
EXTRAIT
"Jack regarda ce qui subsistait autour de lui. Sa table bien rangée, ses murs, son toit, ses livres sur l’étagère, sa carte sur le mur, son cheval, son fusil, sa fenêtre, ses bottes inconfortables, ses nombreuses couvertures superposées, son lit. Tout cela, cette grande solitude, constituait son héritage. Tout cela lui appartenait, à lui et à personne d’autre ; il n’y avait personne d’autre."