Vibrante célébration de la nage
Pour l’académicienne française Chantal Thomas, "la mer n’a pas d’âge, le nageur non plus".
Publié le 09-06-2022 à 16h46 - Mis à jour le 10-06-2022 à 08h10
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Élue à l'Académie française le 28 janvier 2021, au fauteuil de Jean d'Ormesson, Chantal Thomas est une admirable romancière historique (Les Adieux à la Reine, Le Testament d'Olympe, L'Échange des princesses) et une essayiste à qui l'on doit de pénétrants ouvrages sur le marquis de Sade, sur Casanova et sur Marie-Antoinette. Également dramaturge et scénariste, elle obtint en 2014 le prix Prince-Pierre-de-Monaco pour l'ensemble de son œuvre, ainsi que le Grand Prix de la Société des gens de lettres. Ces récentes années, elle nous a livré d'attachants récits à caractère autobiographique : Souvenirs de la marée basse où elle parle de sa mère, nageuse extravertie), East Village Blues (sur ses séjours à New York) et De sable et de neige (lumineux hommage à son père qu'elle perdit à 17 ans). Des textes dont l'écriture précise et sensuelle eût enchanté Colette, aussi gourmande qu'elle des fleurs et fruits de la vie.
Aujourd'hui, c'est à l'un de ses délices, la nage, que la nouvelliste de La Vie réelle des petites filles consacre ce Journal où elle poursuit "l'entreprise paradoxale de saisir l'insaisissable, de doter d'une mémoire ce qui, tracé sur les flots, est voué à l'effacement immédiat".
L’éclat le plus fugitif
Journal de nage fut écrit au lendemain des deux confinements liés à l'épidémie de Covid-19, imposés en France du 17 mars au 11 mai 2020 puis, la même année, du 30 octobre au 15 décembre. Avec couvre-feu jusqu'au 16 janvier 2021. Après quoi, Chantal Thomas retrouva le bonheur de pouvoir aller nager face à la baie des Anges. Par ce carnet d'observations et de méditations, elle tend à célébrer la splendeur du monde "dans son éclat le plus fugitif". Durant lesdits confinements, la très cultivée autrice de Souffrir dut bien le constater : "Mon corps a basculé du côté de l'angoisse de survie au détriment du goût de la vie. Il est réactif, prudent. Solitaire. Sur la défensive".
C'est donc avec jouissance qu'elle put retourner nager à Nice, dès juin 2021. Elle évoque ses lectures et relectures d'alors ; celle notamment du Journal de Kafka (qui reparaît ce mois-ci, en deux volumes, dans la Bibliothèque de la Pléiade) ; Kafka qui était lui-même un nageur passionné.
En poète et philosophe, Chantal Thomas l'affirme : "La mer n'a pas d'âge. Elle ne procède pas, à l'image des montagnes, par strates successives datables. L'effacement est son principe. Chaque vague annule la précédente. Être propulsé dans l'intemporel constitue un élément de la joie de nager. La mer n'a pas d'âge, le nageur non plus."
Un livre dont l'on salue la sincérité, la douce gravité, la vivacité d'esprit. Et aussi l'humour, comme en témoigne ce courriel que l'écrivaine envoya, depuis Nice, à l'académicien (et marin) Erik Orsenna : "Pardonnez-moi, mais je ne pourrai aller vous écouter à l'Institut de France demain matin, pour la commémoration de la naissance de La Fontaine, parce qu'à cette même heure je serai dans l'eau".
- ★ ★ ★ Chantal Thomas | Journal de nage | Récit | Seuil, collection Fiction & Cie, 154 pp., 17 €, version numérique 12 €
EXTRAIT
“Etonnante douceur de l’eau. Effet de velours sur la peau. Une texture éprouvée sous forme de caresse.”