Avec "Etre fille", Melissa Febos, signe une analyse clé pour apprendre à s’extraire des injonctions patriarcales et être femme
Avec "Etre fille", Melissa Febos, signe une analyse clé pour apprendre à s’extraire des injonctions patriarcales et être femme.
Publié le 10-06-2022 à 12h07 - Mis à jour le 10-06-2022 à 12h08
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En librairie, parmi tous les livres féministes qui entendent analyser les mécanismes de domination masculine, rares sont ceux dont la lecture propose l'apaisement procuré par le livre Être fille de Melissa Febos. Et pourtant, le témoignage personnel de l'essayiste et professeure américaine plonge les lectrices et les lecteurs dans les méandres de son adolescence, mentionnant de nombreux abus sexuels, de la maltraitance physique et psychique ainsi que la naissance d'une addiction à différentes drogues.
Ex-travailleuse du sexe, Mélissa Febos offre un espace intime dans lequel elle analyse son parcours de femme pour tenter de se défaire des injonctions systémiques qui cloisonnent, réduisent et persécutent les femmes. L’autrice fait preuve d’une sincérité profonde en abordant des thématiques telles que la sexualité, le rapport au corps, le consentement et les violences sexuelles.
Le mâle panoptique
Selon elle, alors qu'ils étaient évalués pendant l'enfance d'après leur fonctionnalité, les corps d'enfants féminins, sous la pression des regards des hommes et de la société, voient cette appréciation virer vers l'esthétisme uniquement. "Nous nous démenions pour être le plus faible, le plus petite, le plus infantile possible, nous dilapidions toutes nos ressources pour nous atrophier dans le seul but d'attirer les mâles ", explique-t-elle avec intensité. Sous le joug des jugements masculins, la petite fille grandit en apprenant à détester son corps. Imposant des standards de beauté inatteignables, la validation sexuelle, sous toutes ses formes, devient l'unique confirmation de son statut dans la société. "Les hommes observent les femmes. Les femmes s'observent en train d'être observées ", disait John Berger, cité par l'autrice qui s'appuie avec finesse sur différentes études pour en illustrer les conséquences.
Mélissa Febos s'inspire également de Sandra Lee Bartky, qui perçoit les femmes comme possédant chacune un mâle panoptique, soit un mâle sous le regard duquel elles sont soumises perpétuellement et dépendantes du jugement. De ce fait, "le corps des femmes est intrinsèquement défectueux ; esthétiquement défectueux. Pour un corps dont la valeur est jugée presque exclusivement d'un point de vue esthétique, c'est une sentence insoutenable ". Selon Febos, les corps, mais aussi les attitudes, sont constamment dominés par des impératifs genrés dans une logique de domination masculine. "Le fait que le summum de la beauté féminine équivaille à un état de parfaite impuissance physique n'a rien d'une coïncidence", pointe-t-elle. Se faire petite, ne pas être trop assertive, s'excuser en permanence, sont des injonctions qui permettent de garder les femmes dans une position de subordination.
Le consentement vide
"La coercition patriarcale est un fantôme. Un spectre qui m'a possédée en tant qu'enfant et me possède toujours, qui arrache un oui à mes lèvres quand mon corps me dit non." Via le concept de consentement vide, elle nuance et replace la notion de consentement dans un rapport de force inégal. Pour elle, être femme c'est aussi accepter d'être un corps à disposition. "Il existe une différence énorme entre un contact désagréable et un contact forcé. Pourtant, les mécanismes psychiques qui se déclenchent pour nous aider à tolérer un acte auquel nous avons donné un consentement vide sont souvent les mêmes que dans le cas d'une agression sexuelle", explique l'autrice. Le consentement peut être donné pour une sécurité physique mais aussi pour un bien-être émotionnel. Par peur de blesser les sentiments des hommes, les femmes omettent leur propre bien-être. "Tu as fait une crise de patriarcat ! Le patriarcat colonise nos cerveaux comme un virus", s'exclame une de ses amies apprenant qu'elle s'est excusée d'une situation dont elle était la principale victime. Le patriarcat est la maison des femmes depuis des siècles et il est difficile de ne pas faire de rechute. Ce livre offre un espoir, un moment de grâce où réhabiter son être paraît possible. S'écouter entre femmes, prendre acte de nos contradictions et se déconstruire pour mieux se réincarner, tel est l'objectif de Febos. "Le consentement est une forme de communication qui s'opère avant tout en nous-mêmes [… ] C'est en écoutant les vérités d'autres femmes que j'ai appris à mieux écouter la mienne", conclut-elle.
- ★ ★ ★ Melissa Febos | Être fille | Essai | Belfond, 295 pp., 20 €, version numérique 14 €