Le harcèlement, "une maladie de la démocratie": "L’humain a en lui cette facette déplorable"
Le psychopédagogue Bruno Humbeeck mène un combat engagé contre le harcèlement, véritable fléau.
Publié le 10-06-2022 à 11h34 - Mis à jour le 10-06-2022 à 16h01
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Bruno Humbeeck, vous avez préfacé et commenté "Maeva, une belle étoile filante". La lutte contre le harcèlement est un combat que vous entendez mener avec force et conviction, en tant que docteur en psychopédagogie. Un combat difficile pour lequel vous mettez des dispositifs d’intervention en place…
Oui, car on est dans ce qu’on appelle une délicatesse paradoxale. Les enfants ne disent pas ce qu’ils ont vécu, car ils sont très délicats et ne veulent pas faire de la peine à leurs parents qui leur veulent du bien. Il faut absolument outiller l’école pour que les parents soient rassurés et deviennent rassurants. Les jeunes ne sont pas éduqués par rapport aux réseaux sociaux. Ils ont honte, ils se taisent, se retrouvent dans une impuissance complète et sont traversés par des idées suicidaires, à épisodes réguliers. Même après le harcèlement, ils continuent à ressentir de temps à autre cette absence de désir d’exister. Puis il y a ceux qui, comme Maeva, passent à l’acte.
Quel est le plus grand obstacle auquel la société est confrontée face à ce phénomène en accroissement, entre autres à cause des réseaux sociaux ?
Le harcèlement a toujours existé, mais sa caisse de résonance est bien plus grande depuis l’existence des réseaux sociaux. C’est pour cela qu’on ne peut pas se contenter de tâtonnements, de bienveillance, de bricolages. Il faut que toutes les écoles soient outillées pour lutter contre ce fléau. Il existe des techniques bien précises.
Comment un enfant en arrive-t-il à une telle extrémité, et ce, en si peu de temps ?
Il s'agit du flaming, à savoir enflammer quelqu'un. C'est typique du harcèlement. On parle de phénomène d'intensité et d'accumulation comme l'explique très bien la série 13 Reasons Why. Une à une, aucune des insultes ne devrait conduire au suicide, mais c'est leur multiplication qui mène parfois à l'inéluctable. Le livre de Maria Isabel Villalobos est formidable, car il propose plusieurs angles d'approche, et accompagne la trajectoire du deuil. Il explique les mécanismes du harcèlement par le biais des parents qui redécouvrent le cyberharcèlement après coup. On y voit aussi la terrible culpabilité de n'avoir rien vu. Leur fille était jeune, jolie, solaire, comme le sont souvent les victimes de harcèlement. Ce sont des personnes qui suscitent l'envie, qui réussissent tout et qui, soudain, connaissent la chute vertigineuse. Pour devenir une étoile filante, il faut d'abord avoir été un soleil.
Vous lancez un véritable plaidoyer. Il faut à tout prix déculpabiliser les parents et nommer les coupables qui ont produit cette désespérance et surtout ceux qui sont responsables de cette désespérance. Et de dénoncer les institutions, les pouvoirs publics, leur inertie.
Il y a une urgence sociale à résoudre le problème du harcèlement et du cyberharcèlement. Il faut des sanctions. L'école a un rôle éducatif important en termes de réponse au problème. Les agresseurs directs ont noyé leurs neurones miroirs, ceux qui permettent au mieux l'empathie, au pire, l'envie. Ils sont anéantis à un point tel que lorsqu'ils apprennent que leur victime s'est suicidée, ils déclarent qu'elle a eu raison "de se foutre en l'air". Ces agresseurs directs sont très dangereux et ils ne pourront s'intégrer plus tard dans la société. L'absence de réponse au harcèlement est une faillite de l'école et de la société tout entière vis-à-vis de ce jeune. L'école doit aussi stimuler l'empathie, et cela doit faire partie des essentiels.
Le poids de la honte vous tenaille, dites-vous, chaque fois qu’un parent se trouve en position de revivre l’enfer que son enfant a traversé…
Ce livre montre en effet à quel point les mondes juridique et judiciaire sont remplis de gens maladroits qui tâtonnent. Dans le cas de Maeva, on est allé jusqu’à enquêter dans la famille, évoquer des conflits conjugaux… Tout cela pour évacuer le vrai problème, considérer le harcèlement comme multifactoriel et donc trop compliqué à résoudre.
Le goudron, les plumes, les femmes rasées, l’opprobre, la délation, la rumeur, l’humiliation… Pourquoi tant de haine ?
Il s’agit d’agressivité hiérarchique, d’un jeu de pouvoir. Vous humiliez parce que vous avez été humilié. C’est très déplorable, mais l’humain a en lui cette facette déplorable. Il y a un effet de groupe qui entraîne des comportements délétères. Le harcèlement est une maladie de la démocratie. Il n’y a que dans les dictatures qu’il n’existe pas.