Maeva, 13 ans, met fin à ses jours : "Pour ma fille, c’était un cauchemar d’aller à l’école"
Après le décès de sa fille, Maria Isabel Villalobos se met à écrire. Sa démarche est encouragée par le psychopédagogue Bruno Humbeeck. Qui mène un combat engagé contre le harcèlement, véritable fléau.
Publié le 10-06-2022 à 11h35 - Mis à jour le 10-06-2022 à 11h41
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Confrontée à l'insoutenable, en ce lundi 13 janvier 2020, Maria Isabel Villalobos, mariée, mère de quatre enfants, originaire de Bolivie et résidant à Bruxelles depuis une vingtaine d'années, découvre, en descendant du premier étage, le corps de sa fille de 13 ans, qui s'est pendue à la mezzanine. Son premier réflexe, écrit-elle dans Maeva, une belle étoile filante, a été "de prendre ses jambes déjà froides et dures entre mes bras et de crier son prénom de toutes mes forces, avec la douleur la plus intense que je ressentirai jamais…" Maeva a été victime de harcèlement scolaire pendant trois mois.
Il est des chagrins que rien ne peut consoler. L’écriture de votre journal, qui raconte cette première année de deuil, vous a-t-elle cependant aidée ?
L’écriture a été ma thérapie. Je suis d’habitude volubile, mais il était difficile de parler de mes sentiments, car je voulais préserver mon mari et mes enfants. De plus, avec le confinement, je ne pouvais pas voir mes amies. Ce qui m’arrangeait car je n’avais pas de réponse aux questions qu’on me posait. J’ai d’abord écrit un texte pour l’enterrement. Je ne savais pas encore si j’aurais le courage de le lire. J’ai été étonnée quand j’ai vu le monde à l’église. J’ai donc lu le texte, c’était mon hommage à Maeva, et ensuite, j’ai continué à écrire. Au début, je ne pensais pas en faire un livre, mais ma psy m’y a encouragée, ainsi que Bruno Humbeeck.
Que souhaite dire au monde une mère suite à un tel drame ?
Qu'il faut agir pour que cela n'arrive plus. Au niveau institutionnel, juridique, familial. Pour donner confiance aux parents et aux jeunes, pour que la parole puisse se dire. Il n'est pas normal que les jeunes n'aient pas le courage de dénoncer leurs agresseurs. Tout le monde ferme les yeux. Maeva était très inquiète au sujet des rumeurs que ce garçon faisait circuler sur elle. Elle avait honte. Elle ne voulait pas qu'on apprenne ce qu'elle vivait. C'était un cauchemar pour elle d'aller à l'école. Elle croyait que tout le monde était au courant. Et l'exercice improvisé de catharsis par un professeur incompétent, qui l'a mise au milieu de la classe en disant à chacun de l'insulter, a été catastrophique pour elle. Quand un jeune lui a dit : "Va te jeter sous un pont", elle l'a pris personnellement. Ma fille a été cassée après ce cours et l'école ne nous a même pas prévenus.
À vous lire, et à vous entendre, on réalise que l’une des choses les plus difficiles, a été de n’avoir rien vu venir…
Dès qu’on est enceinte, on sait que nos enfants vont souffrir, être malheureux, parfois. Mais il n’est pas juste que quelqu’un le soit au point de ne plus vouloir vivre. On ne peut baisser les bras aussi facilement. Maeva avait tellement de talents, d’atouts, de projets. Nous devions partir naviguer en famille, elle voulait devenir mannequin, elle chantait bien, était forte en gymnastique. Il n’est pas juste d’arriver à tant de souffrance, tant de chagrin. On a tous des hauts et des bas, mais le suicide n’est pas une solution.
Vous apprenez ensuite que des élèves de la classe ont photographié les marques du cou de Maeva au funérarium… Comment peut-on être aussi cynique, se demande-t-on à la lecture de ces lignes ?
Heureusement, je ne l’ai appris que longtemps après l’enterrement. On a voulu me préserver. Ces jeunes manquent d’humanité et de respect. Ils sont venus au funérarium comme s’il s’agissait d’une sortie scolaire. Ils ont pris des selfies, ont soulevé son pull pour prendre des photos de son cou. L’école a considéré qu’il ne s’agissait pas d’une sortie encadrée et n’a donc pris aucune sanction ! Il n’y a même pas eu de réprimande et la police n’a pas pu agir non plus, car il n’y avait pas de plainte, pas de témoins.
Vous avez également un autre combat à mener avec l’école et surtout la justice, pour que l’enquête avance et que la lumière soit enfin faite…
Oui, mais on ne sent pas aidés par la justice. On ne peut pas se constituer partie civile, car il s’agit d’un mineur. Tout le monde veut que l’affaire soit classée sans suite, mais on se bat avec notre avocate.
Que ressentez-vous maintenant que la sortie du livre vous plonge encore plus dans le drame ?
C’est très contradictoire. Je lis les commentaires. Les gens sont émus, ont mal au cœur, alors cela ravive ma tristesse, mais, en même temps, je suis contente d’être arrivée au bout de ce projet.
Maeva, une belle étoile filante, Maria Isabel Villalobos, préface et commentaires de Bruno Humbeeck, Éditions Mols, 240 pp., 22,50 €.