Alain Robbe-Grillet, impénitent provocateur
Benoît Peeters lui consacre un très vivant essai biographique et un recueil d’entretiens inédits.
- Publié le 14-09-2022 à 08h52
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Il y a un mois, Robbe-Grillet aurait eu 100 ans. À cette occasion, Benoît Peeters publie deux ouvrages autour de cet auteur controversé.
Né le 18 août 1922 à Saint-Pierre-Quilbignon, faubourg de Brest, décédé à Caen le 18 février 2008, Alain Robbe-Grillet était ingénieur agronome de formation. En 1953, son roman Les Gommes, sorti aux Éditions de Minuit, obtint le prix Fénéon. Deux ans plus tard, Le Voyeur se voyait honoré par le prix des Critiques, à l'issue de débats houleux.
Ni Goncourt ni Nobel
Aucun grand prix d’automne - Goncourt, Renaudot ou Femina - ne sera jamais décerné à l’écrivain qui siégera dans le jury du Médicis. Comme Simenon, Robbe-Grillet rêva en vain du Nobel ; il dut déchanter lorsque deux de ses proches (chez Minuit, que dirigeait Jérôme Lindon) recevront la consécration suprême : Samuel Beckett en 1969 et Claude Simon en 1985.
Dans son solidement documenté Robbe-Grillet, à l'écriture vivante, le très intuitif Benoît Peeters (Hergé, fils de Tintin, Flammarion, 2002 et 2016) nous livre une biographie interprétative de l'auteur de La Jalousie (1957) et retrace l'"aventure" du Nouveau Roman. Ce mouvement disparate des décennies 50/60 regroupa des écrivains qui prenaient leurs distances avec le récit traditionnel, la psychologie, l'intrigue romanesque. Robbe-Grillet y côtoyait Beckett, Nathalie Sarraute, Claude Simon, Michel Butor, Robert Pinget, Claude Ollier, Jean Ricardou et, brièvement, Marguerite Duras. Un courant salué par Roland Barthes, Jean Paulhan, Maurice Blanchot, Jean Cayrol et autres Jacqueline Piatier. En 1959, Vladimir Nabokov (Lolita) déclarait tenir Alain Robbe-Grillet pour "le plus grand écrivain français vivant." Dans le même temps, les critiques non avant-gardistes maudissaient le Nouveau Roman et son arrogant "pape".
Fantasmes
Le nom de Robbe-Grillet ne parvint aux oreilles du grand public qu'en tant que scénariste de L'Année dernière à Marienbad que mit en scène Alain Resnais : un film envoûtant, Lion d'or à Venise, devenu culte depuis sa sortie en 1961.
À partir de La Maison de rendez-vous (1965), les obsessionnels fantasmes sado-érotiques de Robbe-Grillet tatoueront certains de ses romans (Projet pour une révolution à New York, Souvenirs du triangle d'or, etc.) et de ses films (L'Homme qui ment, Glissements progressifs du plaisir, etc.). La critique sera volontiers féroce envers ces œuvres-là mais se montrera bienveillante, voire admirative, pour la trilogie autobiographique des Romanesques : Le Miroir qui revient (1984), Angélique ou l'Enchantement (1987) et Les Derniers Jours de Corinthe (1994).
Absolument irrecevable
Le livre - non exhaustif - de Benoît Peeters éclaire "le mauvais genre en majesté" incarné par un auteur lu, traduit et analysé dans le monde entier. Inlassable voyageur, il fut partout un conférencier qui déstabilisait ses contradicteurs à force d'ironie, d'érudition et d'intelligence.
Aux Impressions Nouvelles/Imec, Benoît Peeters édita en 2001un double DVD d'entretiens qu'il eut avec le réalisateur du Jeu avec le feu ; leur texte en est aujourd'hui disponible dans Réinventer le roman qu'accueille la collection de poche Champs essais.
En mars 2004, Robbe-Grillet fut élu à l'Académie française. Il n'y sera pourtant pas reçu, ayant refusé de devoir porter l'habit vert et l'épée ainsi que de prononcer l'éloge de son prédécesseur, Maurice Rheims. C'est par une provocation (impure et simple) qu'il finira son œuvre en publiant chez Fayard (en 2007, à 85 ans) Un roman sentimental, fiction "explicitement pornographique". Pour Peeters, c'est comme "s'il tenait à se rendre absolument irrecevable." Et d'observer que "la trajectoire personnelle" de Robbe-Grillet reste "à bien des égards mystérieuse."
Pour plus intimement connaître ce sulfureux créateur, conseillons les deux livres que lui consacra son épouse, la non moins sulfureuse Catherine Robbe-Grillet (romancière de L'Image en 1956, sous le pseudonyme de Jean de Berg) : Jeune mariée et Alain (Fayard, 2004 et 2012) ainsi que le volume de leur correspondance 1951-1990 (Fayard, 2012).
- ★ ★ ★ Benoît Peeters |Robbe-Grillet. L'aventure du Nouveau Roman| Essai biographique | Flammarion, 430 pp., 22,90 €, version numérique 16 €
- ★ ★ ★ Alain Robbe-Grillet et Benoît Peeters |Réinventer le roman| Entretiens inédits | Champs essais/Flammarion, 316 pp. 12 €