Gengis Khan, formidable fondateur d’Empire
Jack Weatherford raconte superbement une vie et un génie mêlant terreur et sagesse.
Publié le 18-09-2022 à 09h37 - Mis à jour le 18-09-2022 à 09h38
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Disons-le d’emblée : le portrait de Gengis Khan et de sa descendance que nous offre Jack Weatherford est superbe. Ancien professeur d’anthropologie, il a visité tous les lieux où grandit, se battit et régna le grand conquérant mongol (1162-1227) et passe toujours une partie de l’année en Mongolie. C’est dire combien il est à même de comprendre une culture et une civilisation auxquelles l’Europe emprunta des techniques - imprimerie, armes à feu, boussole, boulier-compteur - qui contribuèrent à l’essor de sa Renaissance.
Résumons. Avec ses cavaliers mongols, Gengis Khan a redessiné la carte du monde au XIIIe siècle. En 25 ans, il a conquis plus de pays et de populations que les Romains en quatre siècles. De l’océan Pacifique à la mer Méditerranée, tous les lacs et les fleuves ont été traversés à la nage par les chevaux mongols. À son apogée, son empire couvrit une superficie de plus de 30 millions de kilomètres carrés en continu, soit environ la taille du continent africain. Il s’étendait des neiges de Sibérie à l’Inde des moussons, des rizières du Vietnam aux Balkans.
Orphelin et pauvre à 9 ans
À l’issue d’une enfance pauvre et difficile, orphelin de père à 9 ans, Telmoudjin se mit à 15 ans au service du khan des Kereyits. Il remporta pour lui victoire sur victoire grâce à son intelligence, son courage, sa sobriété, sa débrouillardise, son habileté à manier les armes. Maître de la Mongolie au printemps 1206, il se fit proclamer "Gengis Khan" (le khan (chef) universel).
Nous n’entrerons pas ici dans le détail de ses conquêtes ultérieures. Relevons, par contre, des traits essentiels de ses conquêtes. Les Mongols inspiraient la peur, semble-t-il, moins par leur cruauté - bien qu’on leur attribue au moins 10 millions de victimes - que par la rapidité de leurs opérations. S’ils tuaient ceux qui leur résistaient, ils ne pratiquaient ni la torture (contrairement à l’Inquisition !), ni les mutilations (comme en Islam).
Deux facteurs différenciaient son armée de toute autre. Elle ne comportait que des cavaliers - pas d’infanterie donc pour ralentir la marche. Et ne possédait pas d’intendance : les soldats en campagne trayaient une jument, voire la tuaient, chassaient le petit gibier, pillaient les villes conquises. Enfin, l’armée devait son efficacité à son organisation décimale ; dix unités de dix hommes formaient une compagnie de cent, dont dix constituaient un bataillon, dont dix composaient un corps d’armée. L’ensemble ne dépassa jamais entre 80 000 et cent mille hommes !
Une politique d’apaisement
Dans le domaine gouvernemental, Gengis Khan proclama la liberté religieuse totale pour tous : chrétiens, musulmans, bouddhistes, etc. Il épargnait les lettrés qui lui étaient utiles pour comprendre les peuples vaincus et favoriser les échanges culturels et commerciaux. Il interdit l’enlèvement des femmes, source d’interminables querelles tribales, et la réduction en esclavage de tout Mongol. Il déclara que tous les enfants seraient dorénavant légitimes, qu’ils soient nés d’une épouse ou d’une concubine. Que de sagesse et de bon sens ! Un passionnant témoignage sur l’univers mongol nous a été légué par Marco Polo (1254-1324) qui vécut plusieurs années à la cour d’un petit-fils de Gengis Khan.
L’héritage de Gengis Khan s’est prolongé pendant des siècles à travers ses descendants en dépit de réductions progressives. En Chine, les Ming renversèrent la dynastie Yuan en 1368. En Inde, les Anglais proclamèrent la chute de l’empire moghol en 1857. En Asie de l’Ouest, les Turcs prirent le dessus jusqu’à former l’empire ottoman. En Russie, le dernier khanat subsistant, celui de Crimée, fut annexé par Catherine II en 1783.
Trisomique, pas mongolien !
On voit combien Montesquieu, dans son mépris pour les Asiatiques, se trompait dans L'Esprit des Lois (1741) en ne voyant dans les Mongols que des esclaves serviles ou des maîtres cruels. Combien Voltaire avait tort d'écrire que les Mongols avaient fait "un vaste tombeau de la superbe Asie". Et combien, au dix-neuvième siècle, des médecins furent mal inspirés de qualifier les enfants trisomiques, présentant un certain retard mental, de mongoliens ou "mongoloïdes" !
- ★ ★ ★ Jack Weatherford | Gengis Khan et les dynasties mongoles | Histoire | traduit de l'anglais (États-Unis) par Martine Devillers, Ed. Passés/Composés, 400 pp., 24 €, version numérique 16 €