Un génie touche-à-tout de la Renaissance
Yann Kerlau voit même en Leon Battista Alberti le magicien d’un siècle d’audaces et d’inventions.
Publié le 26-01-2023 à 14h22
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Leon Battista Alberti est une des grandes figures du Quattrocento, notre Quinzième siècle. Aucune discipline ne lui était étrangère, si bien que par ses nombreux ouvrages écrits en italien ou en latin, il a été un des accoucheurs de la Renaissance en Europe. Depuis que des amis italiens le lui ont fait connaître, Yann Kermau s’est pris pour lui d’une admiration qu’il a souhaité partager avec ses lecteurs.
Ancien avocat reconverti dans l’industrie du luxe, passionné d’histoire, Yann Kerlau a consacré des ouvrages à Olivier Cromwell, l’aristocrate puritain, qui fit condamner à mort le roi Charles II d’Angleterre, aux Aga Khans, et à Pierre Bergé, figure légendaire du monde de la mode. Aujourd’hui, il nous brosse un portrait fouillé d’Alberti dans un livre dédié au prince Guillaume de Croÿ, descendant d’un autre Guillaume de Croÿ qui fut le précepteur de Charles Quint, et à son épouse, la princesse Isabelle Collalto de Croÿ.
Fasciné par la Rome antique
Né à Gênes, le 14 février 1404, fils naturel d’un membre de la famille des Alberti qui avait été expulsée de Florence quelques années plus tôt, Leon Battista refusa de s’engager dans les activités commerciales et bancaires qui avaient fait la fortune des siens. Après des études de droit et de droit canon, il s’assura un revenu en prenant les ordres mineurs, ce qui faisait de lui un homme d’Église mais pas un prêtre.
Engagé dés lors par la Curie comme rédacteur des brefs pontificaux, il s’installa à Rome, où il n’avait pas seulement accès aux ouvrages de l’Antiquité conservés à la Bibliothèque vaticane, mais se passionna pour les vestiges de l’Urbs antique. Il mourut en 1472, quelques mois après avoir fait visiter les ruines de la Ville à un Laurent de Médicis de 23 ans !
Ceci dit, Yann Kerlau détaille bien combien Alberti brilla dans les domaines les plus divers. Philosophe, il se laissa inspirer par Cicéron et Virgile comme par les athées Lucrèce et Lucien de Samosate. Mathématicien, il est à l'origine de la géométrie prospective qui influença la balistique, la géographie et l'astronomie. Ingénieur, il imagina l'anémomètre pour mesurer la force du vent. Artiste, il posa les bases de la représentation scientifique du corps humain, qui influencèrent plus tard Léonard de Vinci. Architecte, il ne rédigea pas seulement De re aedificatoria, le premier traité d'architecture des temps modernes, et le plus important après celui de Vitruve, qui vivait au temps de l'empereur Auguste. Il construisit aussi le palais Rucellai et la façade de Santa Maria Novella à Florence et reconstruisit la cathédrale de Rimini à la demande du condottière Malatesta pour en faire un temple à sa gloire, le Tempio Malatestiano.
Choisir du vin à la cave ?
Pour évoquer la personnalité et les multiples facettes d'Alberti, Yann Kerlau, remarquablement documenté, n'en a pas moins choisi le ton du conférencier ou de la conversation érudite plutôt que celui de l'historien universitaire. Ce qui l'entraîne parfois dans des dérives inattendues. Ainsi, évoquant le problème des indulgences, il en arrive à l'affaire Callas au XVIIIe siècle, qui n'a rien à voir avec lui. Autre exemple. Évoquant Alberti à la fin de sa vie, il n'hésite pas à écrire que "quand il lui arrivait de se sentir plus isolé que jamais, il descendait à la cave pour ouvrir un de ses meilleurs crus. Rien n'est plus revigorant qu'une bouteille de vin toscan". L'image est charmante, mais il est plus probable qu'un vieil homme de son rang envoyât un valet lui chercher le flacon qu'il désirait déguster !
Une immense bibliothèque
La passion de Yann Kerlau pour les livres lui a fait ressentir "comme une souffrance insupportable" le fait qu'Alberti ne vit aucun de ses livres publiés de son vivant : "des milliers de pages où l'invention de la perspective, les femmes, les dieux de jadis, la raison de la folie, les religions et leur finalité, la danse subtile des chiffres et de l'algèbre, le mariage ou le désir étaient dépecés pour nous livrer leur complexité". Aujourd" hui que ses livres ont paru et ont été pour la plupart traduits en français, il nous en dresse la liste en fin de son livre par ailleurs joliment illustré.
--> ★ ★ ★ Yann Kerlau | Leon Battista Alberti. Le magicien de la Renaissance | Biographie | Albin Michel, 256 pp., 22,90 €, version numérique 16 €