Des adolescentes ont-elles été la proie d'un animal sauvage ?
Entre traumas d’hier et légendes algonquines, R.J. Ellory entretient le trouble face à des morts non élucidées.
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Publié le 27-01-2023 à 10h29
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"Toutes les questions n'ont pas de bonnes réponses. De même que toutes les histoires ne se terminent pas bien." Avec Une saison pour les ombres (The Darkest Season), son quinzième roman à se voir traduit en français, R.J. Ellory (Birmingham, 1965) nous emmène dans une région inhospitalière où l'hiver dure huit mois. Situé au nord-est du Canada, Jasperville est un endroit désolé dont les terres ont été arrachées aux autochtones pour en exploiter son minerai de fer. Beaucoup s'y sont installés parce qu'un travail à la mine les y attendait, pas pour son climat ou ses paysages.
Dès qu'il l'a pu, soit à l'âge de dix-neuf ans, Jack Devereaux a fui cette terre maudite et, surtout, une histoire familiale douloureuse. Vingt-six ans plus tard, il est contacté par la police de Jasperville parce que son frère cadet vient d'être arrêté : Calvis a sauvagement attaqué un homme qui, désormais, est entre la vie et la mort. Ne pouvant l'abandonner une seconde fois, Jack le rejoint contre son gré. La longue route qui l'attend lui permet de comprendre "que les fantômes étaient en lui et que, même s'il partait au bout du monde, ils l'attendraient encore".
Ce retour le replonge inévitablement dans le passé, et plus particulièrement dans une série de morts restées inexpliquées. En 1972, le corps sans vie d’une adolescente avait été retrouvé lacéré, ce qui pouvait laisser croire à l’attaque d’un animal sauvage, ours ou loup. D’autres jeunes filles allaient bientôt subir le même sort. Les moyens de la police étant dérisoires, aucune enquête sérieuse n’a jamais été diligentée. Et personne, pas même les proches des victimes, ne s’en était offusqué. Une apathie confortée par certaines légendes algonquines qui, dans le Grand Nord, demeurent vivaces.
Mensonges
"C'était un endroit trop isolé pour évoluer." À Jasperville, rien n'a vraiment changé, ce qui perturbe Jack. En revenant sur les lieux où il a grandi, souffert et découvert l'amour, il va être confronté aux mensonges des autres, mais surtout aux siens, qu'il a soigneusement muselés pendant si longtemps. "J'ai l'impression que tout ce que j'ai cherché à ignorer pendant vingt-six ans m'attend ici pour se venger de moi."
Si une enquête est finalement menée, elle ne le sera pas par la police. Moins polar au sens classique du terme que roman existentiel, Une saison pour les ombres déploie une toile complexe, plutôt bien ficelée. On regrette seulement que le haut potentiel émotionnel du roman soit exploité avec une certaine froideur, sans guère de subtilité. Pour Jack, le temps des regrets doit s'achever pour devenir celui de l'action. Fini pour lui de fuir, il doit exorciser le passé, et regarder en face ses actes, ses trahisons, ses mensonges. Il l'ignore encore, mais la vérité, quelle qu'elle soit, peut être salvatrice.
--> ★ ★ R.J. Ellory | Une saison pour les ombres | Polar | traduit de l'anglais par Etienne Gomez | Sonatine, 408 pp., 25 €, version numérique 16 €
EXTRAIT
"Tout ce qui arrivait à Jasperville restait à Jasperville. C'était une ville trop lointaine, trop inaccessible, trop éloignée de l'humanité pour qu'il puisse y avoir un coupable. Une jeune fille était morte ? C'était un ours, un loup de l'Est. Rien de plus naturel. Dépêcher une enquête de Montréal, ou ne serait-ce que des Sept-Îles, nécessitait une logistique qui dépassait tellement les limites de la faisabilité que Jack ne comprenait que trop l'inaction de la Sûreté."