Les lettres pudibondes et rasoir de Zweig
De 1934 à 1940, l’auteur autrichien a régulièrement écrit à celle qui allait devenir sa seconde femme, Lotte.
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Publié le 28-01-2023 à 19h26
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Quelle déception de découvrir des lettres si ternes du romancier absolu des excès passionnels… Adressées par Stefan Zweig à Lotte Altmann, sa seconde femme, elles sont particulièrement rasoir. À la lecture de ces courriers au ton guindé, on n’apprend presque rien de l’intensité d’une relation amoureuse et intellectuelle qui s’achèvera en 1942 à Petropolis, au Brésil, par un double suicide.
Étudiant à Francfort, Lotte Altmann avait dû quitter l’université en 1933. Elle venait d’être victime des lois anti-juives de l’Allemagne hitlérienne. La barbarie allait déferler sur l’Europe, engloutissant à jamais une certaine idée de la civilisation. Sans diplôme, ayant fui à Londres, la jeune femme fut recrutée grâce à l’organisme juif d’assistance aux réfugiés et devint la secrétaire de l’écrivain autrichien, émigré lui aussi dans la capitale anglaise.
Un patron paternaliste
De 1934 à 1940, Stefan Zweig, au gré de ses déplacements en Europe et en Amérique, adressera de nombreuses lettres à celle qui allait devenir rapidement sa maîtresse.
Pour l’essentiel, il s’agit de messages transmis par un patron paternaliste à sa secrétaire au sujet de problèmes d’édition, de textes à dactylographier au plus vite, de pépins de santé des uns et des autres, de soucis du quotidien décuplés, il est vrai, par l’exil et la persécution des Juifs.
Jamais Stefan Zweig ne sort de sa réserve bourgeoise qui confine à la banalité. Même lorsque la toxicité d’un ménage à trois s’installe. À Nice, en 1935, Friderike, sa première femme, avait surpris Stefan et Lotte dans une posture compromettante… Sur le moment, elle n’avait rien dit.
Suite à cette scène digne d’un vaudeville, les lettres adressées par un Zweig ennuyé à sa collaboratrice et amante sombrent dans le prosaïsme. “Croyez-moi, chère Mademoiselle, la responsabilité que j’éprouve me pèse beaucoup, je sais combien il va être difficile et coûteux de persister dans cette entreprise”. Par “cette entreprise”, Stefan Zweig évoque sa relation avec Lotte. On peine à reconnaître dans ces platitudes embarrassées le génie psychologique de l’auteur de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme…
Pour couronner le tout, les lettres de Lotte Altmann à Stefan Zweig n’ont pas été retrouvées, probablement détruites par l’écrivain lorsqu’il quittera définitivement l’Europe.
-- > ★ Stefan Zweig | Lettres à Lotte | présenté par Oliver Matuschek (traduit de l’allemand par Brigitte Cain-Hérudent) | Albin Michel, 399 pp., 23,90 €, version numérique 15 €
EXTRAIT
Lettre de Stefan Zweig à secrétaire et amante (23 août 1937)
”Chère Mademoiselle Altmann, je vous écris avec un nouveau stylo que je viens d’acheter, tous les autres sont à la réparation, et simplement pour vous dire que je resterai ici (à Lucerne, NdlR) jusqu’au 31 ou au 1er, puis j’irai à Zurich où je vous attendrai le 3.”