Le passé jamais cicatrisé d’une juive polonaise
Un adolescent confronté à une vieille et attachante dame excentrique rescapée du ghetto de Varsovie. Par Juan Marsé, prix Cervantes en 2008, décédé en 2020.
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Publié le 01-02-2023 à 09h02
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De Juan Marsé, né en 1933 à Barcelone et y décédé le 18 juillet 2020, nous parvient en traduction française son avant-dernier roman, Heureuses nouvelles sur avions en papier - un bien beau titre. Le Catalan, auteur de 15 romans, mais aussi de nouvelles et d'essais, compte parmi les plus grands écrivains espagnols du XXe siècle. Il fut ainsi auréolé de nombre de récompenses littéraires espagnoles, dont la plus prestigieuse, le prix Cervantes, qu'il reçut en 2008.
Sorti en 2014 en version originale Noticias felices en aviones de papel prend place à Barcelone - une constance dans l'œuvre de Marsé qui rend magnifiquement l'ambiance de ses quartiers populaires.
Dans cet attachant récit flotte une atmosphère qui fleure bon les vacances. Bruno, son jeune héros, travaille en tant qu’étudiant à la pâtisserie Rosich y Hnos. Si ses parents se sont rencontrés dans les années 70 à Ibiza, sa maman, Ruth, lasse des infidélités de son mari Amador, le quitte pour la capitale catalane.
Depuis son balcon
Dans l'immeuble où Bruno habite avec sa maman réside une extravagante locataire, une certaine Hanna Pawlikowska, surnommée madame Pauli. Âgée de 70 ans, elle est née à Varsovie et vit à Barcelone depuis 50 ans. Pour Bruno, "elle a le ciboulot complètement grillé". Elle jette dans la rue des biscuits à d'illustres inconnus quand ce ne sont pas des avions confectionnés à base de papier journal, mais en laissant de côté les pages avec les mauvaises nouvelles. Elle sollicite d'ailleurs Bruno pour lui ramener nombre d'exemplaires de quotidiens.
Dans un premier temps intrigué, Bruno le taciturne va peu à peu comprendre les agissements de Madame Pauli, à jamais hantée par "l'horreur et la misère des jours qu'elle avait vécus par le passé" dans le ghetto de Varsovie.
Sous la plume buissonnière de Juan Marsé, on suit les tribulations d’un adolescent à la fin des années 80, une époque qui pourrait paraître bien lointaine pour les jeunes d’aujourd’hui. Ainsi de son amitié avec les frères Rabinad - Oskar et Crâne d’Œuf - deux jeunes qui écoulent leur ferraille à même le trottoir.
Heureuses nouvelles sur avions en papier est aussi - et surtout - une admirable leçon de vie mettant en scène une femme poursuivie par son passé mais qui aura tout fait pour s'en délester. Jusqu'à ce que les visions et hallucinations prennent le dessus. Pour emprunter à la toute fin une voie fantastique.
--> ★ ★ ★ Juan Marsé | Heureuses nouvelles sur avions en papier | Roman | traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-lu, Christian Bourgois, 107 pp., 17 €
EXTRAIT
"Il lui fit une proposition. Il lui achèterait la loupe, mais à payer plus tard et à condition qu'il lui fournisse des journaux. Il s'assit amicalement à côté de lui et lui dit qu'il en cherchait pour une vieille Polonaise un peu siphonnée, une amie de sa mère qui passait sa journée à parler avec un perroquet bleu et à lancer de son balcon des avions en papier journal. Et qu'elle lui donnait quelque chose, pas beaucoup, une misère, pour chaque avion qu'il ramassait."