Une fille en colère qui nous prend par la main
Véronique Ovaldé scrute les relations entre des personnages happés par un même drame.
Publié le 01-02-2023 à 12h57
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Un père passionné d'opéra se console de n'avoir pas de fils - "n'avoir que des filles, c'est ne pas avoir d'enfants" - en donnant à ses quatre filles des prénoms d'héroïnes de Verdi et Puccini. Violetta, Gilda, Aïda et Mimi, chacune née avec deux années d'écart sur la précédente, rallient donc la trame du roman de Véronique Ovaldé porté par un titre énigmatique selon son habitude : Fille en colère sur un banc de pierre. Ce formidable roman, sans doute le meilleur de cette romancière imaginative, est tout à la fois vibrant, tragique, drôle, effervescent, coloré. Ancré aux détails précis d'un quotidien scruté par l'œil malicieux de la romancière, il s'attache surtout aux rapports entre des personnages reliés par un même drame. Mimi, la benjamine, a disparu. Elle avait six ans et une grâce qui désarmait tout le monde.
Le jour où Aïda fit le mur de la maison familiale pour aller au carnaval interdit par le père, elle accepta d’emmener la petite qui la suppliait. Étourdie par les cris et turbulences de la fête, elles se donnèrent un point de rendez-vous. Au cas où… Mais Mimi n’y fut pas. Elle s’était volatilisée. Son aînée fut accusée de négligence envers sa sœur que personne ne retrouva. La mère l’attendit, persuadée qu’elle allait revenir. Le père tyrannique qui avait une préférence pour ses cadettes se mura dans le silence. Les autres imaginèrent le pire. Le monde avait basculé et Aïda, rejetée et culpabilisée, quitta l’île ensoleillée de Iazza où vivait la famille pour se réfugier à Palerme, ville bruyante dont elle fréquenta les quartiers sordides.
Hésitations et faux-fuyants
Quinze ans plus tard, le père meurt et Violette et Gilda désormais mariées invitent pour son enterrement la sœur qu'elles n'ont jamais revue. Les retrouvailles sont délicates. Chacune essaie de bien faire et reste à la surface des choses. Les enfants font ce qui leur est demandé. Présent le beau-frère, romantique et timide, se souvient de l'attention que lui portait autrefois Aïda, cette "fille en colère sur un banc de pierre" maintenant revenue de son exil parmi les siens. Les attitudes, hésitations, ressentiments, faux-fuyants, attachements "entre les uns et les autres" sont un terreau d'observation où l'œil malicieux de Véronique Ovaldé vagabonde allègrement. Construit comme une image de puzzle dont les pièces se révèlent progressivement, le récit fait surgir des lumières et débusque des indices au gré des chapitres, sans que soit levée l'énigme de la disparition de Mimi. Seul Pippo, le cantonnier étrange et poétique sait. Il a tout vu mais se refuse à parler. Jusqu'à ce que ses révélations mènent à une fin inattendue.
Véronique Ovaldé s’amuse et nous amuse en explorant les relations entre les membres d’une famille confrontée à une tragédie sur laquelle le temps a passé. En conteuse éprouvée, elle confie à Aïda le soin de la narration, sondant à travers le regard de celle-ci les arrangements, haines ou amours qui s’entrechoquent dans le huis clos de l’île, en auscultant les prémisses par quelques digressions dans le passé. C’est palpitant et vivant sous le frémissement d’un humour diffus. On aime.
--> ★ ★ ★ Véronique Ovaldé | Fille en colère sur un banc de pierre Roman | Flammarion, 304 pp., 21 €, version numérique 15 €
EXTRAIT
“Ce soir, avoir la petite aux basques c’était pas l’idéal, mais bon. Prête ? demanda la grande. La petite acquiesça. Alors, elles se mirent à courir en se tenant la main.”