Des grands-parents dans le rétroviseur
Christophe Donner et Marc Lambron évoquent à travers eux des choses du passé.
Publié le 02-02-2023 à 12h59
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Christophe Donner est un conteur né. Il publie aujourd'hui son 38e roman, sans compter les 29 récits pour la jeunesse, parus pour la plupart à l'École des Loisirs. Il y poursuit une "autofiction familiale" entamée dans La France goy (2021), qui tournait autour de l'amitié de son grand-père pour Léon Daudet, éditorialiste furieusement antisémite du journal de l'Action Française.
Le suicide de Philippe Daudet à 14 ans
Trois séries d'événements s'entrelacent dans le présent ouvrage. La plus dense raconte la tragédie des Daudet. Le 20 novembre 1923, Philippe, alors âgé de 14 ans, se révoltant contre son père Léon, se présente sous un faux nom au journal L'Anarchiste. L'enfant visiblement déséquilibré annonce qu'il veut assassiner son père ou le président de la République ! Ses interlocuteurs l'en dissuadent et l'abritent pour la nuit. L'après-midi du 24 novembre, il prend un taxi. Après quelques instants, le chauffeur entend un bruit suspect. Philippe s'est tiré une balle dans la tête. Transporté à l'Hôpital Lariboisière, il y mourut quelques heures plus tard.
Dans un premier temps, son père, effondré, fit tout pour empêcher que l’on parle de suicide - ne fût-ce que pour permettre des obsèques religieuses. Mais, le 3 décembre, il proclame à la une de son journal que son fils a été assassiné ! Débutent alors des années d’accusations et de procès mettant en cause tantôt la sûreté, tantôt les anarchistes, ou encore des policiers, voire le chauffeur de taxi. Léon Daudet sera finalement condamné à quelques mois de prison pour ses accusations infondées, mais ses partisans réussiront à le faire s’évader de la Santé. Il se réfugia alors quelque temps à Bruxelles. Il ne cessera de ressasser la mort de son fils jusqu’à sa propre mort en 1942. Christophe Donner, qui ne cache pas son hostilité à Léon Daudet, le taxe même d’ambition fasciste. L’Action française était-elle fasciste ? Ce n’est pas évident.
Un deuxième thème du roman évoque un capitaine de Gaulle affecté en 1925 à l'état-major particulier du maréchal Pétain. Ce dernier, qui rêve d'être élu à l'Académie française mais rechigne à écrire, lui demande de rédiger un livre qu'il signerait. De Gaulle lui écrit une histoire des soldats français du Moyen Âge à 1914. Mais son texte ne convient pas au maréchal. En 1934, de Gaulle le publia sous son propre nom et l'intitula Vers une armée de métier.
Une danseuse à moitié nue
Le troisième récit donne son impertinent titre au roman. Résumons. Pendant la guerre, un représentant des réseaux de la Résistance se rendit à Londres pour faire part au général de Gaulle de l’hostilité de nombreux réseaux à leur fédération sous la direction de Jean Moulin. Il lui offrit, à cette occasion, la statuette incongrue d’une danseuse à moitié nue. Le général la conserva, elle est exposée dans l’antichambre de son domicile à Colombey-les-Deux-Eglises. Or, c’est la grand-mère de l’écrivain, Denise Gosset, qui avait posé pour elle, devant le sculpteur René Iché, à une époque où, se voulant artiste, elle fréquentait les milieux artistiques parisiens.
Une France disparue
De son côté, Marc Lambron jette lui aussi un regard sur le monde d’avant, plus proche dans le temps néanmoins disparu. Né en 1957, passé par la Sorbonne, l’École normale de la rue d’Ulm et l’École nationale d’administration (ENA), il est devenu conseiller d’État et a été élu membre de l’Académie française. Et voilà qu’il revisite la France de son enfance sur les traces de son grand-père, Pierre Denis, né en 1902 à Imphy. Orphelin de mère à 6 ans, il grandit dans la fermette de sa tante et devint à 16 ans Compagnon du devoir, apprenti maçon et tailleur de pierre. De son mariage naîtra en 1932 la mère de l’auteur, Jacqueline, qui grâce à une bourse d’État deviendra institutrice à Nevers. Elle épousera un élève de l’École militaire et leur petit Marc poursuivra cette ascension sociale au mérite. Aujourd’hui, il replonge dans ce "monde d’avant" pour constater combien il a disparu. Eh oui !
--> ★ ★ Christophe Donner | Ce que faisait ma grand-mère à moitié nue sur le bureau du Général | Évocations | Grasset, 304 pp., 22 €, version numérique 16€
--> ★ ★ Marc Lambron | Le monde d'avant | Évocations | Grasset, 96 pp. 14 €, version numérique 10€